Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Une étape dans la dégradation de l’art médical

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1930 16 décembre 2011
Dans les débats sur les «réseaux de soins intégrés» qui ont occupé les Chambres dès 2004, l’avis des sociétés de médecine n’est pour ainsi dire jamais mentionné. Que le Parlement fédéral en soit venu à définir la politique de la santé sans le concours des hommes de l’art ôte beaucoup de crédit à cette loi. Car les médecins ont des choses à dire. Dans son «Bloc-notes» de la Revue Médicale Suisse du 12 octobre dernier, M. Bertrand Kiefer, rédacteur en chef, dénonce rien de moins que «la disparition soft du libre choix du médecin, le rationnement caché, le secret médical et le sujet humain sacrifiés à l’“optimisation” des traitements». L’accusation est centrale, mais nos élus se jugent apparemment au-dessus de ça.

La loi sur les réseaux de soins prévoit que les médecins et autres «fournisseurs de prestations» peuvent se constituer en «réseaux de soins intégrés». Ces réseaux doivent offrir tous les services couverts par l’assurance de base, ce qui exige une équipe assez complète de spécialistes. Ils concluent avec les assureurs un contrat qui règle «notamment la collaboration, l’échange de données, la garantie de la qualité et la rémunération des prestations». Chaque assureur doit prévoir ce type d’accord dans ses statuts. A ce que nous avons compris, mais la loi dit en réalité fort peu de choses, l’accord prévoit un coût global calculé en fonction du coût moyen prévisible du patient lambda. Le réseau et les assureurs sont co-responsables du budget. Jusqu’à 3% de dépassement, c’est le réseau qui assume. Au-delà, ce sont les assureurs.

L’assuré qui s’engage à recourir exclusivement à un réseau de soins intégrés voit ses primes et sa participation aux coûts baisser sensiblement. En revanche, il peut être contraint de conclure avec le réseau un contrat de longue durée pouvant aller jusqu’à trois ans.

Tant la mise sur pied du réseau que l’adhésion de l’assuré sont volontaires.

En soi, le réseau n’est pas une mauvaise chose. Le système proposé permettrait sans doute de recadrer ces patients qui, sans passer par le médecin de famille, s’adressent à toutes sortes de spécialistes au gré de leur caprice du moment. Ce tourisme, absurde d’un point de vue médical, est un facteur d’augmentation des coûts, dont l’importance est d’ailleurs discutée.

Signalons que, dans son principe, le réseau ne lèse pas le libre choix du médecin. Le libre choix n’est pas un droit individuel qui permettrait au malade de gambader sans entrave d’un médecin à l’autre, mais la condition première de l’exercice de la médecine en tant qu’elle exige une relation de confiance entre le patient et son médecin. Le libre choix du médecin de famille implique l’acceptation a priori – sous réserve d’une incompatibilité personnelle toujours possible – de ses décisions concernant le recours aux spécialistes.

En l’occurrence, néanmoins, la loi sur les réseaux de soins porte bel et bien atteinte au libre choix. Il suffit d’imaginer l’assuré à qui ses moyens modestes ne permettent pas de choisir le médecin qui lui conviendrait parce que celui-ci ne fait pas partie d’un réseau. La durée inhabituellement longue du contrat avec le réseau constitue une autre atteinte en restreignant la capacité de choix du patient. Enfin, la soumission inévitable du médecin de famille aux exigences du management du réseau réduit la signification même du libre choix. Il n’y a de libre choix que si le médecin lui-même est libre.

Le réseau permet-il d’améliorer les soins? A part le fait que la circulation des critiques et des conseils se trouve sans doute facilitée à l’intérieur d’un réseau, on ne voit pas trop où se trouverait le gain qualitatif.

Les référendaires craignent que les réseaux, responsables sur leurs propres deniers des bilans de fin d’année, ne fassent passer le souci comptable avant le souci médical. Cette crainte est d’autant plus fondée que les économies sont le but explicite de la nouvelle loi. De même, la possibilité pour les assureurs de refuser de contracter avec tel réseau, jugé trop onéreux ou insuffisamment docile, leur donne l’avantage sur le monde médical et conforte leur approche prioritairement économique de la politique de la santé.

On a même évoqué l’émergence de gigantesques réseaux étendant leur toile sur la Suisse entière, dans lesquels le malade ne serait plus qu’un numéro d’assuré ballotté à tout vent de doctrine actuarielle… Vision dantesque et sans doute excessive.

Quoi qu’il en soit, il faut juger cette loi du point de vue de son rôle dans la détérioration générale du statut de la médecine. L’assurance obligatoire, l’érosion du secret médical, le remplacement des honoraires différenciés par un système de points culminant dans les calculs d’épicerie Tarmed et induisant plus d’un médecin à faire du point en multipliant les actes ni franchement nécessaires ni franchement inutiles, le contrôle croissant des caisses sur les coûts et les traitements, voire sur les diagnostics, les pressions continuelles des assureurs pour ne plus être obligés de contracter avec tous les médecins, la caisse unique qui pointe à l’horizon et constituera de fait un service parallèle de l’administration fédérale, tout nous conduit vers une médecine administrative et technocratique, c’est-à-dire moins inventive, moins efficace, moins sociale et plus coûteuse.

La loi sur les réseaux de soins contribue à cette dégradation en diminuant la liberté de choix du médecin et en renforçant l’importance du critère financier dans la décision médicale. Il faut la rejeter.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: