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Fin des peines pécuniaires: un projet de loi maladroit

Julien Le Fort
La Nation n° 1947 10 août 2012

Le droit pénal suisse a fait le choix, il y a quelques années, de renoncer très largement aux courtes peines de prison et de les remplacer par des peines pécuniaires. Les courtes peines de prison étaient en effet considérées comme contre-productives, car le délinquant risquait de perdre son emploi et de voir ses relations familiales se compliquer alors même que la peine est assez courte (et donc la culpabilité légère). Actuellement, nombreux sont les professionnels de la justice à considérer que les peines pécuniaires ne sont pas dissuasives et qu’elles font ainsi le jeu de la délinquance. La Confédération a fini par admettre qu’il fallait réintroduire les courtes peines privatives de liberté fermes; elle a préparé une modification de loi et un message, publiés dans la Feuille fédérale du 8 mai dernier.

Surprise! A la lecture du projet de loi, on constate que celui-ci ne modifie pas seulement le régime des sanctions mais qu’il apporte une modification procédurale déterminante: l’ordonnance pénale, par laquelle le Ministère public condamne le délinquant sans le renvoyer devant un tribunal, serait plafonnée à une peine ferme de trois mois seulement, contre six actuellement.

Pourquoi cette modification est-elle déterminante? C’est que renvoyer un délinquant en jugement constitue un travail important pour le Ministère public: il faut rédiger un acte d’accusation puis se préparer et être présent lors de l’audience de jugement pour soutenir l’accusation. A l’inverse, l’ordonnance pénale est une procédure simple par laquelle le Ministère public prononce une peine et achève ainsi son travail immédiatement après avoir mené ses investigations. L’efficacité y gagne. Et les droits de la défense sont sauvegardés puisque l’ordonnance pénale est une proposition de sanction que le délinquant peut contester devant un tribunal – ce qu’il renonce très souvent à faire.

Le projet de loi prévoit que le Ministère public peut prononcer une peine maximale de trois mois fermes ou de six mois avec sursis. Quelle serait alors l’évolution de la répression? Immanquablement, les Ministères publics, par économie de moyen, chercheraient à prononcer des peines fermes inférieures à trois mois ou inférieures à six mois si elles sont assorties du sursis. Les peines seraient ainsi atténuées alors même que la nouvelle loi est censée constituer un durcissement des sanctions! Selon Eric Cottier, procureur général du canton de Vaud, «cette proposition [du Conseil fédéral] fait l’unanimité contre elle au sein de la Conférence des autorités de poursuite pénale de Suisse»1.

Admettons qu’un Ministère public zélé décide de ne pas tirer vers le bas les sanctions et renvoie en jugement tous les délinquants qu’il souhaite condamner à une peine ferme de plus de trois mois. Il en résulterait une surcharge de travail très importante. A Genève, le procureur général affirme que, en 2011, 891 affaires se sont soldées par une ordonnance pénale condamnant le délinquant à une peine comprise entre 3 et 6 mois2. Le nouveau droit proposé par le Conseil fédéral aurait contraint le Ministère public à porter ces 891 affaires devant le Tribunal de police. Ce travail supposerait du personnel supplémentaire, des magistrats supplémentaires. A la charge des cantons, bien entendu.

C’est maintenant au Parlement de se saisir du projet; espérons que chaque procureur général aura informé la députation de son canton pendant l’été.

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