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Soutenez la musique, votez non!

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1949 7 septembre 2012

Dans quelques jours, nous voterons sur le contre-projet à l’initiative Jeunesse et Musique. Ce texte est soutenu par une foule de personnalités, élus de tout bord, écrivains, artistes, qui appellent à voter oui. A les entendre, c’est le destin même de la musique en Suisse qui se joue.

Le thème est propice aux effets faciles. Il permet à ceux qui sont toujours en quête de voix de s’acquérir à peu de frais une réputation de grandeur de vue et de générosité.

On nous explique doctement que la musique, c’est très important, que la musique est une nécessité vitale, surtout pour les jeunes, qu’il en va non seulement de leur culture, mais de la structuration même de leur personnalité. Et on conclut solennellement que chaque jeune doit jouir d’un plein accès à la musique.

Tout ceci est en gros incontestable. Seulement, ça n’a rien à voir avec l’attribution à la Confédération d’une compétence en matière de politique musicale. On est ici en marge de la réalité, tant politique que musicale.

Alors, sans doute pour marquer le trois centième anniversaire de rousseau, on commence par écarter tous les faits1. On fait comme si la Suisse partait de rien en matière de musique, comme si tout restait à faire, comme si les innombrables formations musicales de tout genre, ensembles de musique de chambre et orchestres symphoniques, fanfares, groupes de jazz et de rock, chorales et choeurs, classiques ou populaires, étaient à l’agonie, comme s’il n’y avait ni directeurs bénévoles, ni fondations culturelles généreuses, ni subsides importants des Etats cantonaux et des communes.

On fait comme si la Confédération, par le seul fait qu’elle coifferait constitutionnellement les cantons, en acquerrait une vision culturelle et musicale supérieure. On évite bien entendu toute allusion au Centre culturel suisse de Paris et aux «provocations» si politiquement correctes d’un Thomas Hirschhorn. On ne parle pas davantage de l’Office suisse du cinéma, qui balance continuellement entre l’arrosage et le copinage. Ce refus de tenir compte des expériences permet d’éviter de se poser la question qui fait mal: par quel miracle en irait-il différemment avec un Office suisse de la musique?

Et l’on fait comme si le simple transfert d’une compétence à la Confédération suffisait pour créer les moyens nécessaires, comme si ce n’était pas toujours le même contribuable, et toujours le même argent, diminué toutefois des coûts imposés par la mise en oeuvre de la nouvelle compétence.

Pour émouvoir l’électeur, on invente la victime à sauver, le jeune passionné de musique qui, faute d’argent ou d’information, n’a pas la possibilité de chanter, de jouer, d’apprendre, et qui, par la grâce du contre-projet, bénéficiera enfin des lumières et des libéralités providentielles d’un Office fédéral de la jeunesse et de la musique.

On fait comme si le service administratif chargé de la musique allait conserver la fraîcheur, l’élan passionné, la vision idyllique des auteurs de l’initiative, comme s’il n’allait pas passer la plus grande partie de son temps à examiner les demandes de subventions et décider si les conditions y donnant droit sont satisfaites, se consacrant pour le surplus à la rédaction de l’une ou l’autre conception globale de la musique en Suisse.

On concède sans doute que le système, ou plutôt les pratiques cantonales autonomes ont assez bien marché jusqu’à maintenant, mais c’est pour affirmer tout de suite après que le système est aujourd’hui à bout de souffle, que tout se dégrade en matière musicale et qu’il faut passer à l’échelon supérieur. C’est pour le moins caricatural.

Et dans la mesure où ce jugement est pertinent, croit-on vraiment que l’essoufflement et la dégradation sont limités à la musique, et aux cantons? Ne voit-on pas que la Confédération est encore bien plus essoufflée et dégradée, gonflée à en crever de compétences dont elle ne sait que faire, se dégonflant quand il s’agit d’exercer celle qui justifie son existence, soit la défense de la souveraineté suisse, garante de l’autonomie des cantons? L’Etat fédéral a besoin qu’on le décharge, non qu’on en rajoute.

On évacue l’«argument fédéraliste» sous prétexte que la Confédération n’interviendrait qu’en cas d’insuffisance cantonale. M. Félicien Monnier a déjà montré2 que cette apparente amélioration apportée à l’initiative par le contre-projet consistait uniquement à centraliser en deux temps plutôt qu’en une fois. A la longue, personne n’a aucun doute sur le fait que la Confédération interviendra dans les ménages cantonaux en vertu de la seconde phrase de l’alinéa deuxième de l’article 67a de la Constitution.

Surtout, on fait comme si le fédéralisme n’était qu’une question pratique de répartition des tâches, comme s’il ne posait pas la question du respect des communautés cantonales et de leurs traditions musicales propres. Pensons au Fribourg de l’abbé Bovet et du père Kaelin, à ses choeurs paroissiaux, à sa culture du chant populaire, pensons au Canton de Vaud, avec ses grands ensembles vocaux, son Conservatoire, l’EJMA, la Fête des Vignerons. Ces deux cantons voisins ont des cultures musicales incroyablement différentes, mais aussi profondément enracinées l’une que l’autre.

Cette diversité et cet enracinement ne peuvent que souffrir d’un chapeautage fédéral. La voie qui s’ouvre au passionné de musique, sans doute plus difficile et fatigante parce que plus réaliste, est d’oeuvrer dans son propre canton à partir des traditions, institutions et pratiques telles qu’elles existent.

Les amoureux de la musique doivent refuser sa mise sur orbite fédérale et administrative.

Notes:

1 Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755).

2 «Initiative “Jeunesse + musique” – Dissonante subsidiarité», La Nation N° 1945 du 13 juillet 2012.

 Art. 67a Formation musicale (nouveau)

1. La Confédération et les cantons encouragent la formation musicale, en particulier des enfants et des jeunes.

2. Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons s’engagent à promouvoir à l’école un enseignement musical de qualité. Si les efforts des cantons n’aboutissent pas à une harmonisation des objectifs de l’enseignement de la musique à l’école, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire.

3. La Confédération fixe, avec la participation des cantons, les principes applicables à l’accès des jeunes à la pratique musicale et à l’encouragement des talents musicaux.

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