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Suisse

Jacques Perrin
La Nation n° 1949 7 septembre 2012

Il faut se rendre à l’évidence. Un Vaudois «ultrafédéraliste», attaché à son Canton aussi solidement qu’il est possible, est plus qu’un Confédéré; il a des fibres suisses.

Bien qu’il eût parcouru l’Helvétie en tous sens, surtout à cause des ses obligations militaires, l’auteur de ces lignes n’avait jamais vu le Cervin. Zermatt était pour lui une destination touristique (dans le pire sens du terme) où il se jugeait chanceux de ne pas avoir à se rendre.

Un beau jour d’août, il a rejoint ce lieu et ses préjugés se sont évanouis.

Ce genre de mésaventure arrive: on en est réduit à comparer un objet réel avec ses mille et une reproductions plus ou moins kitsch, plus ou moins artistiques. Le Cervin sort vainqueur de la comparaison. Le soussigné en est tout étonné. Oui, le Cervin est grandiose. Corne plantée sur un alpage (das Horn auf der Matte), bénéficiant d’éclairages infiniment variés, il symbolise la Suisse de façon avantageuse: un pays montagneux fiché au milieu de l’Europe, construction politique certes fragile, mais reposant sur une base solide et affichant une supériorité loin d’être imméritée; une éminence durable et massive.

A Zermatt, le 12 août, nous assistons, entourés de touristes japonais et chinois ravis, au quarante-quatrième Festival folklorique. Nous savons bien que les prétendus intellectuels haïssent le folklore, même si les publicitaires le tolèrent de mieux en mieux sous sa forme dite «ethno» et communautariste, comme si les Suisses n’étaient chez eux, dans le meilleur des cas, qu’une tribu parmi les autres.

Dans l’étroite rue principale de la cité valaisanne, pas aussi défigurée que se l’imaginent les «fans» de Franz Weber, défilent les sonneurs de cloche, les joueurs de cor des Alpes, les chasseurs, les fifres et les tambours, les fanfares, les «Jodlergruppen», les amateurs de chiens («Euseri Bernhardiner»), les lanceurs de drapeaux du Haut-Valais et évidemment les «Trachtenvereine» de Brigue, Viège, Ennetbürgen (Nidwald), Küssnacht am Rigi, Randa, Reckingen, et de beaucoup d’autres villages.

Même la colonie portugaise, présente en force dans l’hôtellerie et la construction, est de la fête.

Le folklore vivant n’est pas l’apanage des vieillards. Nous voyons aussi de jeunes couples et des adolescents en train de danser. Les petites filles, ressemblant à celles qu’a peintes Anker, nous émeuvent, leurs mèches blondes émergeant des coiffes presque carrées du Haut-Valais, blanches ou noires avec des dorures, munies d’une poche pour ranger le chignon. L’impression nostalgique de voir les dernières petites têtes blondes nous gagne.

Exactement au centre du cortège, en quelque sorte à la place d’honneur, apparaissent, ô surprise, les Milices Vaudoises au complet: tambours, grenadiers, mousquetaires, chasseurs à cheval, cuisine tractée. Elles remportent un franc succès à l’applaudimètre, notamment auprès des Asiatiques. Les étendards vaudois flammés, précédés par celui de la Confédération, nous touchent au coeur. C’est ce lien militaire qui nous rattache à la Suisse, mais pas seulement. Avouons notre inclination pour ces petits peuples montagnards de l’«Urschwiiz», de l’«Innerschwiiz», ces Emmentalois, Oberlandais, Hauts-Valaisans ou Uranais, et même ces cornistes gruériens, qui ne renient pas leur passé et qui, comme les lutteurs des fêtes fédérales, nous font participer à ce que la Suisse a de fort, à ces rochers, cette neige, ces cours d’eau tumultueux, à ce monde pierreux et primitif dont nous ressentons le besoin. L’urbanité n’est pourtant pas absente, représentée par des groupes vaudois (La «Montreusienne» et le «Narcisse») ou sédunois («Sion d’autrefois»).

Ce sentiment d’appartenance à la Suisse, acquis au service militaire, nous l’avions déjà éprouvé en visitant il y a des années la prairie du Grütli. L’hôtelier de Seelisberg qui nous hébergeait était étonné et content d’avoir des clients vaudois car il était certain que les romands, après le vote sur l’EEE, détestaient les Uranais.

De retour à Aubonne, nous sommes interpellé par un ancien chauffeur de bus scolaire:

– Alors Monsieur Perrin, vous avez aimé les Milices?

– Oh oui, énormément! Pourquoi cette question? Vous étiez aussi à Zermatt dimanche?

– C’est que moi, des Milices Vaudoises, j’en fais partie et je vous ai vu sur le trottoir!

Nous n’avions pas reconnu le monsieur en question, à cause de son képi et de ses jugulaires.

Il faut qu’un Aubonnois se rende à Zermatt pour apprendre qu’un de ses concitoyens fait partie des Milices! Les voyages en Suisse profonde ne sont pas inutiles.

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