Le parapluie du chef
Il y a quelques mois, le commandant de la police lausannoise dénonçait l’un de ses agents à la justice pour avoir giflé un prévenu impossible à maîtriser.
Un chef qui lâche un subordonné, c’est a priori choquant. Les policiers se sont indignés et le public a pris parti dans la presse. En revanche, l’Etat de Vaud a soutenu le commandant, renvoyant les critiques à l’article 302 du nouveau Code de procédure pénale. Celui-ci oblige en effet les autorités de la police à dénoncer toute infraction constatée ou vraisemblablement commise. C’est une exigence qui s’inscrit dans le renforcement général du contrôle social sur l’individu.
Cela dit, la distance qui subsiste toujours entre la règle générale et la situation particulière laissait tout de même une certaine marge d’appréciation au commandant.
La police travaille dans des situations limites, étant aux premières lignes du combat de l’ordre contre le désordre. Contrairement au citoyen ordinaire, elle a le droit de recourir à la contrainte physique, ce qui lui crée un statut un peu en marge de la société. Il lui arrive de devoir parler le langage de la violence à ceux qui n’en comprennent pas d’autre. La proportionnalité doit être respectée, le procédé ne saurait devenir ordinaire, mais la situation appelle parfois l’acte de force qui ramène le calme. Ce fut le cas en l’occurrence. Le prévenu n’a d’ailleurs pas porté plainte contre l’agent.
Le métier du policier se singularise de deux manières: d’abord par les dangers physiques et psychologiques qu’il court quotidiennement et qui lui valent des égards particuliers; secondement par la possibilité qu’il a d’abuser de son pouvoir sur les prévenus voire sur le simple citoyen, ce qui appelle une discipline d’autant plus stricte.
Ces deux caractéristiques inspirent au chef un double souci. Il n’obtiendra un plein engagement de ses hommes que s’ils le savent toujours prêt à ouvrir son parapluie pour les protéger contre les bureaucrates enkystés dans la hiérarchie, les politiciens attentifs à préserver leur réputation d’«humanistes» et les journalistes prompts à dénoncer les «ripoux» sur de simples bruits, les uns et les autres trop éloignés du terrain pour apprécier justement les modalités de la répression. En sens inverse, le chef ne pourra bien défendre ses troupes que si les politiques, les médiatiques et la population dans son ensemble sont convaincus qu’il en a la maîtrise.
La rigueur du commandement et le soutien que le chef assure à ses subordonnés sont les deux faces de la même fonction, les deux expressions extérieures et simultanées de l’autorité. S’il ne défend pas sans réserve ses policiers et leurs actions, le chef apparaîtra comme un homme sans autorité, un rouage administratif, un apparatchik utilisant son parapluie pour se mettre lui-même, et lui seul, à l’abri d’éventuels reproches («il savait, et il n’a rien dit…») et se défausser confortablement sur un pouvoir de décision plus lointain.
Quant aux policiers, ils se précautionneront eux-mêmes en évitant les situations scabreuses où leur présence serait pourtant requise. En même temps, c’est la responsabilité du chef de diriger les pratiques de ses policiers de façon à ce qu’il puisse les défendre sans réserve. A défaut, la police devient un Etat dans l’Etat, substituant son intérêt particulier au bien commun politique, inspirant la crainte et le mépris à la population… et augmentant à terme le désordre public qu’elle a pour tâche de prévenir ou de contenir.
Les actes de force du policier ne peuvent être jugés qu’en relation avec la situation concrète. C’est dire que le commandant de la police était le mieux placé pour juger si, étant donné le comportement du prévenu, le coup donné était une réponse adéquate ou s’il constituait un abus, une bavure due à une perte de contrôle. Dans ce dernier cas, il lui revenait de convoquer son subordonné et de lui laver la tête.
Il lui revenait aussi de constater que la faute révélait une insuffisance de sa part dans la conduite des hommes, ce qui lui faisait un devoir d’assumer le tout et de s’en tenir là.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La disparition de l’âme – Lars Klawonn
- Suivez le guide - L’Hôtel de Ville – Ernest Jomini
- Une heure importante pour Crêt-Bérard, Maison de l’Eglise et du Pays – Lionel Hort
- Eduquer – Jacques Perrin
- Eloge d’un «demi-président» – Revue de presse, Ernest Jomini
- Lavaux, musée de l’habitat vigneron? – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le bon vieux temps – Revue de presse, Philippe Ramelet
- L’armée doit parler nos quatre langues! – Félicien Monnier
- Une forte rencontre avec J.-S. Bach – Jean-Jacques Rapin
- La critique d’Ueli Maurer que vous ne lirez que dans La Nation – Le Coin du Ronchon