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L’armée doit parler nos quatre langues!

Félicien Monnier
La Nation n° 1956 14 décembre 2012

Le quotidien 24 heures révélait le 12 novembre dernier1 que l’armée se germanisait de plus en plus. Le problème serait même déjà avancé.

Dans la situation actuelle, au moins deux états de fait posent problème. Les promotions annuelles d’officiers professionnels sont essentiellement composées de lauréats alémaniques. Selon le brigadier Denis Froidevaux, président de la société suisse des officiers (SSO) interviewé par 24 heures, le chiffre proportionnel à la population suisse de 20% de francophones par volée n’est presque jamais atteint. Cette année, exceptionnelle selon M. Froidevaux, la promotion de l’Académie militaire, liée à l’EPFZ, ne comptait aucun francophone.

Selon le président de la SSO, certaines armes techniques ne sont même plus alimentées en francophones. Nous croyons savoir que ce ne sont pas les seules concernées. Il semble qu’une arme aussi importante que les troupes blindées a vu ses effectifs italophones disparaître et ses éléments francophones s’amenuiser fortement ces dernières années.

Comme l’établit un rapport des universités de Bâle et de Fribourg de 20092, la question des relations interlinguistiques dans l’armée s’est accentuée avec les réformes successives qu’elle a connues. En effet, la chute des effectifs a sonné le glas de l’unilinguisme dans un grand nombre de formations. Ainsi en est-il surtout des écoles de recrues. L’infanterie ne connaît par exemple aucune école de recrues uniquement francophone ou italophone, quand bien même deux écoles se trouvent en Pays de Vaud. De même, il n’existe plus de grande unité uniquement francophone, alors que les brigades germanophones sont nombreuses.

Ce constat était prévisible lors des débats sur Armée XXI. La concentration des effectifs, donc des commandements, ne pouvait que provoquer cette mixité. Celle-ci n’est pas un mal en soi et participe des bonnes relations confédérales en ce qu’elle fait se rencontrer et collaborer, à tous les niveaux de l’armée, italophones, germanophones et francophones. Car il n’y a pas que les états-majors qui sont mixtes; les écoles aussi et les bataillons également, quoique dans une moindre mesure.

Aucune règle claire n’existe cependant au sein de l’armée sur le fonctionnement du plurilinguisme. Le Règlement de service prévoit bien que les supérieurs doivent, «dans la mesure du possible s’exprimer dans la langue du subordonné» et que la «langue littéraire» doit être utilisée dans les formations plurilingues. Cette disposition cherche cependant avant tout à proscrire les dialectes. C’est un bon pas, mais encore insuffisant.

Le principe selon lequel chacun s’exprime dans sa langue serait une bonne solution s’il s’accompagnait d’une bonne connaissance orale de la langue de l’autre. Les systèmes scolaires n’assurent pas cette réciprocité.

Contrairement aux armées belge ou canadienne, relève le rapport de MM. Kreis et Lüdi, l’armée suisse n’exige pas de ses cadres qu’ils connaissent deux langues nationales.

Chez nous l’usage qui tend à s’appliquer est celui de la prééminence de la langue majoritaire. Malgré la bonne volonté de nombreuses personnes, la nature des choses fait triompher l’allemand lorsque les uns et les autres sont mélangés et se trouvent concentrés géographiquement. La Berne militaire souffre des mêmes maux langagiers que la Berne administrative.

Cette situation est regrettable. La Suisse est de composition complexe. Cantons, langues et religions sont autant de facteurs de division interne. Ils l’ont été de par le passé et pourraient l’être à nouveau.

Les régions linguistiques sont des facteurs de division bien connus. La Grande Guerre a vu les tensions linguistiques atteindre leur paroxysme historique. Et pourtant, les contrepouvoirs équilibrant traditionnellement ces tensions, à savoir les cantons et les confessions, étaient plus forts en 1916 qu’ils ne le sont aujourd’hui.

En 2012, à l’heure où la centralisation fédérale est avancée et où le sentiment religieux s’estompe, les tensions linguistiques sont un danger de division intérieure même à très court terme. L’actualité récente a vu la Belgique, pendant plus d’une année, incapable de constituer un gouvernement. En période de crise et de guerre économiques comme aujourd’hui, toute étincelle peut déclencher un incendie.

Une solution pour compenser ces déséquilibres linguistiques consisterait à lutter contre le taux d’aptitude au service militaire3 extrêmement bas des cantons romands qui se retrouvent tous en dessous des 60%, alors que le taux moyen est de 65%. Lorsque l’on observe les taux de 79% pour Nidwald, de 68% pour Berne ou de 78% pour Lucerne, on ne peut que constater la marge de progression dont nous disposons. Cette lutte passe autant par des mesures de santé publique que par un durcissement des règles d’octroi des certificats médicaux d’inaptitude. La voie bleue, encore utilisée aujourd’hui, doit engager la responsabilité politique et morale des médecins qui s’y prêtent. Les cantons sont compétents dans ces matières.

L’armée a pour mission de défendre l’entier du territoire suisse. Du point de vue militaire, la Confédération ne forme qu’un bloc. L’armée doit donc affirmer par sa composition même l’intégrité du territoire qu’elle a à défendre. Le seul moyen d’y parvenir est de maintenir le système de milice. Car si l’instrument ultime de notre politique de sécurité est représentatif de la Suisse, la division sera également évitée jusque dans les moments les plus critiques.

Notes:

1 Laurent Aubert, «Désormais, la grande muette ne parle plus que l’allemand», 24 heures du 12 novembre 2012.

2 Prof. Georg Kreis et Georg Lüdi, «sprachgebrauch und Umgang mit Mehrsprachigkeit in der schweizer Armee (am Beispiel einer mehrsprachigen Brigade)», Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse, Programme national de recherche PNR-56, Bâle et Fribourg 2009.

3 Les informations utiles se trouveront sur le site internet du DDPS: http://www.vtg.admin.ch/internet/vtg/fr /home/dokumentation/news/newsdetail.43431.nsb.html.

 

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