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Suivez le guide - L’Hôtel de Ville

Ernest Jomini
La Nation n° 1956 14 décembre 2012

Notre balade historique nous amène en face du bâtiment de 1675 où siègent nos autorités municipales. Un premier Hôtel de Ville avait été construit en 1468 après la fusion (déjà!) des quatre quartiers de la ville basse: la Palud, le Bourg, Saint-Laurent, le Pont. Si on se rend au Forum, on trouve à gauche, au départ d’une des arcades, le plus ancien écusson de Lausanne porté par deux anges, reste du premier Hôtel de Ville et témoignage de la piété des Lausannois de cette époque.

Franchissons la porte d’entrée et montons quelques marches. Deux peintures de l’artiste Clément datées de 1937 nous accueillent. Elles sont consacrées à Davel qui lui aussi a gravi cet escalier le 31 mars 1723. Il venait exposer son plan de libération du Pays de Vaud aux autorités lausannoises. On fit semblant d’être d’accord avec lui pour mieux le trahir et le livrer à la justice le lendemain.

Mais ce n’est pas cet épisode que représentent les peintures. A gauche, nous avons le jeune Jean Daniel Abram Davel adolescent, dans un décor d’une maison vigneronne. Une mystérieuse jeune fille lui fait cette prédiction: «Vous serez un instrument d’élite entre les mains de Dieu.» Pieuse légende? Non, événement historique. Davel lui-même a raconté au cours de son procès cet épisode de sa jeunesse. Cette prédiction mystérieuse l’a accompagné tout au long de sa vie et sa tentative de libérer son Pays lui est apparue comme l’accomplissement de cette vocation.

D’où venait cette «belle inconnue»? Une savoyarde engagée pour travailler à la vigne? Une jeune fille des Cévennes protestantes où dans la clandestinité s’était développé un mouvement que l’on nommerait aujourd’hui «charismatique», comme le suggère l’historien H. Vuilleumier?

A droite, Davel est proche de sa mort. Revêtu de sa tunique rouge, le major est en marche le 24 avril du Château saint-Maire à Vidy où aura lieu l’exécution. La route sera longue, surtout pour un condamné qui, quelques jours auparavant devant le tribunal, a subi la question ordinaire et la question extraordinaire. Au-dessous de l’image, les paroles par lesquelles Davel a commencé son discours sur l’échafaud (LL. EE. de Berne l’y avaient autorisé à condition qu’il ne dise pas de mal du gouvernement): «C’est ici la plus excellente et la plus glorieuse journée de ma vie.» si les Français ont Jeanne d’Arc, les Vaudois ont aussi leur héros mystique, convaincu que sa tentative procédait d’une inspiration divine.

Relevons en passant la rapidité de la justice de cette époque: 31 mars – 24 avril. Il est vrai qu’on ne recourait pas alors à toutes les expertises psychiatriques.

Montons maintenant au 1er étage. Seules la salle des commissions et celle des mariages n’ont pas subi de modernisation ces dernières années. La salle du Conseil communal, avec ses sièges en hémicycle et ses micros pour chaque conseiller, paraît très moderne. On a conservé pourtant une pendule de 1670, qui est toujours à l’heure, entourée d’une inscription latine. En traduction: «Par la concorde les petites choses croissent, la discorde les fait échouer misérablement.» Quiconque a suivi à la télévision ou dans son journal les délibérations partisanes du parlement communal réalise combien cette maxime serait utile à nos conseillers. Mais la disposition de la salle fait qu’ils lui tournent le dos… et d’ailleurs, qui sait encore le latin?

Pénétrons maintenant dans la belle salle de la Municipalité. Depuis quelques années, sièges et tables sont modernes. C’est probablement utile à notre époque où papiers et ordinateurs prennent beaucoup de place. Mais un mobilier moderne dans une salle du XVIIIe siècle? Contentons-nous donc de nous attacher aux éléments historiques. A droite, au-dessus des fenêtres, des verres peints datant du premier Hôtel de Ville représentent, à côté des armes de la ville, les armoiries des quatre quartiers de Lausanne fusionnés en 1460. Aux quatre quartiers s’est adjoint en 1481 le quartier de la Cité qui s’est en partie émancipé du pouvoir de l’évêque et du chapitre. Désormais, toute la ville forme une seule commune.

A gauche, d’autres verres peints rappellent les funestes combourgeoisies en 1525 de Lausanne avec Berne et Fribourg. Funestes parce qu’elles permettront aux deux villes de s’immiscer dans les querelles lausannoises entre les bourgeois et l’évêque et d’éliminer l’influence du duc de Savoie. La politique ducale de rattachement de Lausanne au Pays de Vaud dont elle était la capitale naturelle a ainsi échoué. C’est au nom de la combourgeoisie qu’un détachement de soldats lausannois participera en 1536 à la conquête bernoise et fribourgeoise de notre Pays. L’opération militaire achevée, les Lausannois seront obligés de rompre la combourgeoisie avec Fribourg, et Berne leur apprendra, par la bouche du bailli bernois installé au Château à la place de l’évêque, qu’ils ont cessé d’être des combourgeois pour devenir des sujets. La combourgeoisie avec Berne apparaît dans sa vraie lumière: un instrument de sa politique d’expansion coloniale.

Nous avions été souvent intrigués par la présence d’une clochette sur la table de la Municipalité. Jusqu’au jour où, arrivant avec une classe, nous trouvâmes un municipal en train de travailler dans la salle. Nous nous apprêtions à repartir pour ne pas le déranger, mais celui-ci nous invita aimablement à entrer et se déclara prêt à répondre aux questions des enfants. Bien sûr, on lui demanda: «Pourquoi la clochette?» – «Il arrive, nous dit-il, que lors des séances les municipaux soient en désaccord. On s’excite, le ton monte. Alors, le dernier entré à la Municipalité ou le moins bien élu des municipaux, qui a la garde de la clochette, est chargé de sonner. Chacun comprend, on se calme et la discussion normale reprend.»

Ces derniers temps, la clochette a disparu. N’en a-t-on plus besoin? Et qui a eu l’idée de l’introduire? Mme Jaggi? M. Delamuraz? Ou faut-il remonter plus haut? Beau sujet de thèse de doctorat pour un universitaire qui épluchera les procès-verbaux municipaux pour trouver la réponse à cette énigme historique.

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