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Une forte rencontre avec J.-S. Bach

Jean-Jacques Rapin
La Nation n° 1956 14 décembre 2012

Il y a peu, le 13 juillet 2012, nous posions ici même la question: «Bach est-il actuel?» or, la semaine dernière, le Festival Bach de Lausanne nous a apporté une magnifique réponse, d’une qualité rare.

Cette institution doit beaucoup à Mme Kei Koito, qui l’a créée. Organiste de rang international, elle a su lui donner un rayonnement de premier plan. Sa quinzième édition, sous le motto Mors et vita, offre une large approche, qui couvre de nombreux aspects de l’œuvre de Bach, et cela en l’inscrivant dans un panorama européen trop peu souvent évoqué.

C’est ainsi que la soirée du 9 novembre est à marquer d’une pierre blanche. Elle restera dans les mémoires comme un événement de haute volée, avec ses deux volets, très complémentaires: le premier – une profonde réflexion de Gilles Cantagrel sur ce thème central Bach et la mort: Motets et Passions – étant la clé d’accès au second, un concert du Tölzer Knabenchor, consacré aux six Motets de Bach, BWV 225-230.

On ne présente plus Gilles Cantagrel. Avec son grand prédécesseur Albert Schweitzer – comme lui, Français! –, il est l’un de ceux qui nous ont ouvert des portes royales au monde le plus secret de Bach, et par lui, de l’âme allemande. Si sa connaissance de l’œuvre du Cantor est encyclopédique, elle l’est toujours au service de la cause, à savoir une attitude d’infini respect devant les mystères du génie pour tenter de les comprendre, mais sans jamais les affadir ou les banaliser. Ce qui ne l’empêche pas d’aborder le quotidien dans sa dimension la plus réaliste. Ainsi, d’emblée, nous rappelle-t- il que Bach perd son père et sa mère à quelques mois d’intervalle, alors qu’il n’a que neuf ans… Comment s’étonner dès lors que la mort, si tôt entrée dans son existence, devienne l’objet d’un dialogue constant qui ne cessera plus, sa vie durant, jusqu’au choral ultime qu’aveugle il dicte à son gendre Altnikol: «Je comparais devant Ton trône…»

Pour illustrer l’intensité et la permanence de cet échange, Gilles Cantagrel s’appuie tout naturellement sur les textes des chorals des deux Passions, selon saint Matthieu et selon saint Jean, et sur le langage des cantates (qu’il remet en valeur, en les plaçant dans l’environnement piétiste de leur époque). Avec pudeur et délicatesse, il met en évidence l’extrême variété de sentiments que le Cantor éprouve devant la mort, de la plus grande tristesse à la sérénité la plus confiante et – osons le dire! – heureuse… En cela «cette musique qui prie», pour reprendre l’expression de feu Edouard Burnier, est bien la réponse actuelle au questionnement de l’homme d’aujourd’hui, comme elle l’a été au temps de Bach.

Et pour situer au mieux le monde extraordinaire des six Motets de Bach, ce monument de grandeur, où la science polyphonique la plus accomplie est au service d’une expression intime de la foi de leur auteur, Gilles Cantagrel prend le parti – remarquable d’intérêt! – d’évoquer la «rencontre» qu’en fait un autre génie: Mozart. La comparaison est alors plus que parlante, car pour Mozart, prenant conscience de la dimension exceptionnelle de cet héritage, plus rien ne sera désormais comme avant. Sa conception de l’écriture change, le style fugué et toute la richesse contrapuntique qui en font la grandeur y auront dorénavant une place de plus en plus importante, liée à un approfondissement – si c’est possible? – de l’expression, comme ce fut le cas pour le Bach des dernières œuvres.

Dès lors, on comprend sans peine que l’admirable concert du Tölzer Knabenchor et l’audition des six Motets soient devenus la suite organique et logique de cette brillante conférence, à considérer plutôt comme une approche du monde spirituel de Jean-Sébastien Bach. En organisant de telles «rencontres» (au sens le plus élevé du terme) avec une personnalité comme celle de Gilles Cantagrel et un chœur du niveau de celui des Tölzer Knaben, le Festival Bach de Lausanne s’honore et honore cette ville. Il faut lui en savoir une vive reconnaissance.

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