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Méditation en zig-zag sur la gauche et la droite

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1938 6 avril 2012

L’homme de droite s’afflige de la décadence. L’homme de gauche se réjouit du progrès. Le premier est pessimiste, traditionnel, conservateur, parfois réactionnaire. Le second est réformiste ou, s’il est pressé, révolutionnaire.

La droite libérale est favorable aux libertés individuelles et la gauche à l’égalité. La première veut des impôts réduits au minimum nécessaire pour que l’Etat puisse assurer l’ordre dans les rues et protéger les frontières. Pour la gauche, l’impôt sert à répartir les richesses. L’Etat est chargé d’établir l’égalité en toute chose. Les barrières entre les riches et les pauvres, les nationaux et les étrangers, les hommes et les femmes doivent être remplacées par la solidarité universelle.

Pour la droite libérale, le bien commun, s’il existe, résulte de l’affrontement des libertés individuelles. Pour la gauche socialiste, il est le couronnement d’une organisation rationnelle de la société.

Les libéraux conservateurs limitent l’égalité aux droits politiques. Ils constituent une classe sociale traditionnelle aisée, mesurée, enracinée. Attachés au fédéralisme et à l’indépendance de la Suisse, ils ont le sens du service à la communauté. La religion protestante leur fournit un cadre moral qui règle l’affrontement des individus. Ils sont en voie de disparition.

Les néo-libéraux rejettent tout ce fatras. Ils ne croient qu’au jeu du marché. Ils ne sont pas fédéralistes, car les frontières cantonales restreignent le jeu du marché. Ils ne sont pas syndicalistes, car les ententes entre partenaires sociaux freinent le jeu du marché. En ce qui concerne l’indépendance suisse, disons qu’ils n’y sont pas opposés, pour autant qu’elle n’empiète pas sur le jeu du marché. Si l’enracinement et l’esprit de mesure caractérisent le libéral de droite, ces libéraux-là ne sont pas de droite.

La libéralisation, c’est-à-dire la suppression des entraves au jeu du marché, engendre une bureaucratie supplémentaire chargée de démasquer les ententes illicites, les entraves techniques à la libre circulation des biens et les préférences nationale, régionale ou locale dans l’attribution des marchés publics. Ce libéralisme bureaucratisant n’est pas étonnant: tout excès, de gauche comme de droite, gonfle inévitablement l’appareil étatique.

La doctrine du parti radical est un composé de souci social et de liberté économique. Ce parti fut longtemps, dans le Canton, le parti du gouvernement par excellence. Depuis quelques décennies, il se contente de gérer la dérive socialisante du pouvoir. Au lieu de soutenir l’initiative «Ecole 2010», par exemple, il a préféré servir de supplétif au parti socialiste, reconnaissant indirectement la suprématie idéologique et politique de son adversaire électoral.

C’est que, comme l’a rappelé M. Denis Ramelet dans son commentaire1 paru sur le site www.lesobservateurs.ch, la faiblesse congénitale de toute droite est d’être une ancienne gauche. Les libéraux de 1830 et les radicaux de 1848 étaient de gauche. La droite se sent toujours faible face à des gens de gauche plus fidèles qu’elle-même à ses propres principes.

Aujourd’hui, le parti socialiste vaudois prend insensiblement la place du grand vieux parti. Nous écrivons insensiblement en pensant à l’absence de réaction des bourgeois alors qu’ils viennent de perdre la majorité au Conseil d’Etat. Pourtant cela va déterminer de profonds changements de politique en matière sociale et financière, mais aussi en ce qui concerne les nominations du haut en bas de l’administration.

Le parti socialiste est lui aussi un parti de masse et de gouvernement. Il a des relais dans l’ensemble de la société. On peut aujourd’hui y entrer sans motif idéologique, simplement pour faire carrière.

Comme ce fut le cas du parti radical de la grande époque, son idéologie s’est déjà atténuée et s’atténuera encore, car le pouvoir place celui qui le détient face à des problèmes auxquels l’idéologie n’apporte pas de solutions satisfaisantes.

La question européenne a fait apparaître une convergence entre le libéralisme mondialiste et le socialisme internationaliste: le premier a accepté l’idée de filet social et le second s’est rallié à la notion de profit, lequel rend possible les prélèvements fiscaux nécessaires à la redistribution. C’est que le libéralisme moderne et le socialisme sont l’un et l’autre des économismes. Ils abordent l’un et l’autre la politique en fonction de considérations prioritairement économiques.

Le parti démocrate chrétien, autrefois divisé entre une aile catholique conservatrice de droite et une aile chrétienne sociale de gauche, se recroqueville aujourd’hui dans un centre tiède et mou.

L’Union démocratique du centre est-elle d’extrême-droite? Elle frise le code avec sa communication passionnelle et brutale. Mais le terme extrême devrait être réservé aux partis et mouvements qui prônent la révolution violente, tels les marxistes ou les néo-nazis.

L’UDC hésite constamment entre le protectionnisme et le libéralisme. Comme le disait franchement M. Blocher à propos de la libre circulation: «En tant qu’entrepreneur, je suis pour, en tant que patriote, je suis contre.» Pour ce qui est des souverainetés cantonales, un parti suisse à la conquête du pouvoir ne peut pas être fédéraliste. Aussi l’UDC est-elle déchirée entre un sentiment fédéraliste et une pratique unitaire.

Quant au fascisme, il est d’extrême-quoi? Etatiste, socialiste et planificateur, il est à gauche. Mais en tant qu’il est spécifiquement italien plutôt qu’universel, il se place à droite. On peut aussi dire qu’il fut une tentative, ratée, de réconcilier la droite nationaliste et la gauche sociale.

Le communisme est une doctrine historique sociale, économique et politique qui prétend rendre raison de tout, y compris de l’avenir. C’est aussi une pratique révolutionnaire. C’est encore un messianisme. Aux commandes, il est nationaliste et impérialiste. Comme pour le fascisme, l’échelle gauche droite perd ici beaucoup de son intérêt. On la remplacerait avantageusement par une échelle allant du pouvoir modéré au pouvoir absolu.

Le gauchisme étend la structure de la lutte des classes à l’ensemble des relations d’autorité, femmes contre hommes, enfants contre parents, employés contre patrons, soldats contre officiers, prêtres contre évêques, évêques contre pape, etc. Les communistes considèrent les gauchistes comme des romantiques immatures et des auxiliaires du capitalisme à qui ils fournissent des prétextes pour renforcer la surveillance policière: les gauchistes sont des alliés objectifs de la droite.

Et où placer les libertaires, ces individus qui, rejetant toute règle et tout dogme, sèment le trouble dans quelque mouvance idéologique qu’ils se trouvent? Chaque mouvance en fait des suppôts de la mouvance opposée.

Les libertaires de Mai 1968, pratiquant l’entrisme à outrance, se glissèrent dans les coulisses du pouvoir. Ils prirent une influence déterminante dans l’armée, l’Eglise, l’Ecole et les institutions politiques, tout en revendiquant de surcroît le monopole de la contestation. Peu de tyrans auront été aussi bornés, despotiques et sûrs d’eux que ce pouvoir libertaire.

Les écologistes ont lié leur destin à celui de la gauche. Pourtant leur méfiance à l’égard du progrès les situe à l’opposé de l’optimisme rationaliste et technique des socialistes.

Il est vrai qu’un certain technocratisme écologique s’installe en Suisse, symbolisé par ces oiseaux qu’on bague ou munit d’une puce avant de les relâcher pour tout connaître de leur vie «sauvage», symbolisé aussi par l’invraisemblable paperasse écologique dont l’administration vaudoise inonde les paysans. Cet interventionnisme méticuleux est assez éloigné du retour innocent à la nature profonde et mystérieuse.

Il reste que le retour à «la terre qui ne ment pas» n’est pas un thème réservé à la gauche. L’Action nationale, classée à l’extrême-droite, était authentiquement écologiste. Le rattachement de l’écologie officielle à la gauche repose sur la haine commune du libéralisme, destructeur à la fois de la nature et de la solidarité.

Il faudrait encore classer les anarchistes, les lobbies religieux et économiques, les régimes plébiscitaires, les partis de l’union, les Black Blocs, le parti des automobilistes, les partis monarchistes, les totalitarismes, que sais-je… Mais le couple gauche droite ne permettrait pas de rendre à chacun son dû.

Quant à nous, nous accordons une certaine valeur pratique à l’échelle gauche droite, mais, connaissant ses limites et ses ambiguïtés, nous préférons juger de cas en cas si un individu ou un parti agit en fonction du bien commun vaudois. Si oui, et quelle que soit son appartenance de gauche ou de droite, nous le soutenons et travaillons avec lui sans états d’âme.

 

NOTES :

1 http://www.lesobservateurs.ch/politique/vomir-ludc-et-faire-gagner-la-droite-de-lirresponsabilite-politique-de-la-droite

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