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«Mamans de l’amour»

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1938 6 avril 2012

Le 14 mars, le Conseil des Etats a adopté une motion de sa commission des affaires juridiques demandant que toute personne adulte, quelle que soit sa situation à l’état civil ou le mode de vie affiché, puisse adopter un enfant. Cette motion visait en particulier à permettre l’adoption des enfants d’un éventuel partenaire enregistré. L’affaire est maintenant entre les mains du Conseil national. Il revient à ce dernier de transmettre ou non la motion au Conseil fédéral, pour que s’ensuive un projet de loi.

Le jour où le Conseil des Etats se prononçait, Le Temps publiait un article de Mme Marie-Pierre Genecand, «Mamans de l’amour». Il vaut la peine d’en citer un large extrait:

L’adoption, Nathalie et Shirley [«prénoms fictifs»] y ont pensé avant la procréation assistée. Mais, pour l’instant, la Suisse interdit l’adoption aux couples homosexuels alors qu’elle l’autorise aux célibataires. Pourtant les deux femmes sont stables, pacsées depuis 2007. Elles se sont même mariées en 2004 au Canada, un des rares pays qui autorisent le mariage homosexuel. «On a fait une grande fête avec la famille et les amis, c’était très chaleureux et l’occasion d’unir nos destins devant de nombreux témoins!»

Elles sont comme ça Shirley et Nathalie: très simples et traditionnelles. L’une est manager dans une multinationale, l’autre est cheffe de projet dans le social. De bons salaires à la clé, garants de sécurité. L’argent leur a aussi été nécessaire dans leur croisade pour devenir mères. «Il a fallu plus de dix essais pendant deux ans pour que Clara vienne au monde. Avec les voyages en Espagne [pays qui, contrairement à la Suisse, autorise l’insémination artificielle hors mariage (hétérosexuel)] et les séjours, l’opération a coûté au moins 40000 francs», estime Shirley, qui évoque aussi le stress et la mise sous pression «alors qu’une clinique proposait le même service dans notre quartier à Lausanne!». Pour la deuxième petite fille, Tania, les choses se sont passées plus facilement, mais, là aussi, il a fallu se rendre plusieurs fois en Espagne.

Peu importe. Aujourd’hui, les deux jeunes femmes savourent leur bonheur d’être mères. Et, conformément aux recommandations du Conseil fédéral dans son message du 21 février dernier (LT du 22.02.2012), l’état civil vaudois a enfin reconnu l’adoption de Clara que Nathalie avait faite en 2009 aux Etats-Unis, lieu d’origine de sa compagne. «Jusque-là, si quelque chose arrivait à Shirley, je n’avais aucun droit sur ma fille aînée en Suisse, aucun lien officiel avec elle», dénonce la jeune femme. Qui attend dans la foulée que l’état civil vaudois reconnaisse l’adoption de sa deuxième fille, décrétée par l’administration américaine à Noël 2011.

Et la motion du jour discutée aux Etats, qui demande d’accorder l’adoption sans restriction aux homosexuels? «Nous avons participé à la campagne de sensibilisation lancée par Pink Cross et l’association 360° qui consistait à envoyer des lettres avec photos de nos enfants à des politiciens, explique Nathalie. Nous avons adressé vingt missives, nous avons reçu deux réponses positives. De Luc Recordon et Jacques Neirynck.»

Le combat risque d’être encore long, d’autant qu’il pose des questions de fond, et implique de vrais changements de civilisation. Qu’en est-il du modèle masculin lorsque les deux parents sont des mamans? Et que diront Nathalie et Shirley lorsque Clara, puis Tania demanderont comment elles ont été conçues? «Nous restons très simples. Aucune de nous deux n’essaie de jouer le rôle du père ou du tiers séparateur», répond Nathalie. «Quant au récit de leur procréation, on le dévoilera à nos filles lorsqu’elles poseront des questions.»

Avant la procréation, les deux jeunes femmes n’ont pas redouté les conséquences psychologiques de ce choix, car «plusieurs études montrent que les enfants de parents homosexuels sont aussi bien intégrés que les autres». [D’autres études affirment le contraire.] Elles craignaient plus le regard de la société. Elles sont rassurées. «A l’exception d’une réaction hostile, tout le monde – voisins, famille, amis – a très bien réagi. Les grandsparents sont fous de joie, les oncles et tantes, ravis, personne n’est choqué ou mal à l’aise.»

La crèche qui accueille Clara a même la délicatesse de proposer des jeux de rôles où les enfants ont parfois deux mamans. Et, à la Fête des mères, Shirley et Nathalie, qui se font appeler maman et mami, reçoivent chacune un cadeau. Les éducatrices de la crèche ont tout de même pris une précaution: elles ont demandé aux deux jeunes femmes ce qu’elles devraient répondre si Clara les questionnait sur son «papa». «Nous les invitons à dédramatiser, à dire qu’il y a plein d’enfants de parents divorcés ou de mères célibataires qui ne grandissent qu’en présence de leur seule maman. Le papa n’est pas une fatalité.»

Un tel texte pourrait se passer de commentaire, tant le ton en est éloquent. Remarquons tout de même que le traitement spécial dont «bénéficient» les deux enfants en garderie – à qui on cache sciemment le rôle du père – et la complaisance de l’entourage sont justifiés par un constat navrant: celui du naufrage du modèle familial standard. Comme si la multiplicité des divorces et autres séparations justifiait l’insémination artificielle de lesbiennes «stables». Il est permis de douter que la logique trouve son compte dans cette démonstration. Ceci dit hors de toute volonté polémique.

Pour mémoire, la loi sur le partenariat enregistré a été acceptée en votation populaire en 2005. Elle interdit aux couples homosexuels d’adopter. Lors de la campagne, La Nation s’était prononcée contre. Notre journal avait prévu que les revendications actuelles constituaient la suite logique du «Oui». Ceci dit hors de toute volonté revancharde.

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