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Subjonctifs et participes

Jacques Perrin
La Nation n° 2216 16 décembre 2022

Le journal Libération du jeudi 17 novembre nous apprend que la prestigieuse collection de la Pléiade publie pour la seconde fois les œuvres complètes du philosophe d’Amsterdam Baruch Spinoza (1632-1677), dans une nouvelle traduction sous la direction de Bernard Pautrat. Que le même auteur paraisse deux fois dans la Pléiade n’arrive pas souvent. C’est une édition impeccable, nous dit l’auteur de l’article, Robert Maggiori. On imagine le nombre de chercheurs, exégètes et autres correcteurs nécessaires à la réalisation du projet.

Voici un extrait cité par Maggiori du Traité de l’amendement de l’intellect: Après que l’expérience m’eût enseigné que tout ce qui se présente fréquemment dans la vie ordinaire est vain et futile […], je résolus enfin de rechercher s’il n’y avait pas quelque chose qui fût un vrai bien, et qui pût se partager, et qui, une fois rejeté tout le reste, affectât l’âme tout seul; bien plus, s’il n’y aurait quelque chose qui fût tel que, une fois cela découvert et acquis, je jouisse d’une joie continuelle et suprême pour toute l’éternité.

Il y a dans ce texte quatre formes de subjonctif imparfait de la troisième personne: deux fois fût, pût et affectât, qui sont correctement utilisées, et une forme de subjonctif plus-que-parfait eût enseigné, qui est fautive. La conjonction de subordination après que n’exige pas le subjonctif, mais l’indicatif, il faut ôter le circonflexe pour obtenir un passé antérieur, ce qui est justifié, car l’action décrite a réellement eu lieu, elle s’est déjà produite. Cette erreur est fréquente. Il est étonnant qu’elle apparaisse dans un texte édité dans la Pléiade. Si dans les hautes sphères les règles de grammaire sont ignorées, comment exiger des élèves de nos collèges qu’ils les appliquent?

Aussi ne sommes-nous pas surpris qu’une présentatrice de la RTS ne connaisse pas la différence entre le pronom personnel invariable leur (Sarah et Louise me demandaient des explications, je les leur ai données) et le déterminant possessif variable (Sarah et Louise ont offert des cadeaux de Noël à leurs parents), et nous assomme avec cette liaison erronée: Les employés nous disent que les raisons pour lesquelles ils ont été licenciés leur-z-échappent

Il y a une cause plus fâcheuse de la dégradation de la langue que l’ignorance, c’est l’idéologie. Une présentatrice toujours en phase avec l’inclusivité (chacun, chacune; toutes et tous) nous annonce que la planète compte désormais plus de huit milliards d’humaines et d’humains. Humain est essentiellement un adjectif. Pourquoi ne pas dire huit milliards d’êtres humains? Parce qu’en toutes circonstances le féminin doit apparaître afin de faire reculer l’odieux patriarcat, pour bien montrer que les femmes ont le pouvoir et que désormais la langue reflète leur montée en puissance.

Notre brave présentatrice s’est peut-être inspirée de la députée Verte d’extrême-gauche Sandrine Rousseau, reine française de l’éco-féminisme. Celle-ci a récemment félicité ses partisans de leur engagement électoral, leur déclarant: Bravo à vous de la magnifique campagne que vous avez fait et faite (ou faits et faites, on ne sait pas, puisque le message fut transmis oralement…)

On suppose que Mme Rousseau, docteur en sciences économiques et naguère vice-présidente de l’université de Lille, a une vague idée de l’accord du participe passé: avec l’auxiliaire avoir, le participe s’accorde avec le complément d’objet direct quand il est placé devant le verbe: La magnifique campagne que vous avez faite est la phrase correcte. Mais Mme Rousseau décide souverainement d’inventer une règle nouvelle qui lui permette de manifester son souci d’inclusivité. Il faut de l’égalité partout et toujours. Par son indépassable conformisme idéologique, Sandrine Rousseau est devenue le Lyssenko – stalinien pur jus qui rejetait les lois de la génétique bourgeoise – de l’orthographe.

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