Virgile au Grand Conseil
Le rapport du secrétariat du Grand Conseil pour 2021-2022 porte en exergue la phrase de Virgile: Labor omnia vincit improbus. On en félicite doublement l’auteur du document. D’abord d’honorer les lettres antiques. Ensuite de donner la citation en entier; car souvent on l’écourte, se limitant aux trois premiers mots qui célèbrent l’effort. Or l’improbus donne du fil à retordre aux traducteurs.
Le rapport vaudois donne cette version, souvent retenue: Un travail acharné vient à bout de tout. Ainsi se trouve magnifié, sans la moindre ombre au tableau, le labeur du Grand Conseil, ou de son secrétariat, ou des deux. Pourquoi pas. Mais l’improbus, avec son préfixe négatif, contient tout de même une nuance péjorative. Nous ne songerons pas un instant, bien sûr, à l’acception évoquant la malhonnêteté. En revanche, Virgile avait peut-être en tête de relativiser la valeur du travail. La première Géorgique, d’où est extraite notre citation, dit comment l’humanité a dû accepter de transpirer, en grattant la terre, après avoir perdu l’abondance naturelle de l’âge d’or où l’on recevait tout sans peine.
Au Grand Conseil aussi, on a passé d’une certaine simplicité à des temps plus difficiles. En 2021-2022, il a fallu traiter 431 objets déposés par les députés et 1222 points à l’ordre du jour; d’une législature à l’autre (de 2012-2017 à 2017-2022), le Bulletin a passé de 30 000 pages à 35 000; les initiatives parlementaires ont augmenté de 78%, les motions de 112%, les simples questions de 169%. Tout pousse dans le terreau parlementaire et ceux qui en ont le soin ne cessent de sarcler les mauvaises herbes et d’élaguer les branches gourmandes. Lourde besogne, labor improbus confinant parfois à l’absurde. Proposons donc cette traduction: travail kafkaïen.
Reste à espérer que le Grand Conseil revienne à la sobriété, les députés à la réserve et à la concision, et que le prochain rapport de son secrétariat porte en exergue que le silence est d’or, silentium aureum.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Coup de rasoir – Editorial, Félicien Monnier
- Occident express 107 – David Laufer
- Un «contrat» bancal – Jean-François Cavin
- Un ouvrage bienvenu sur le Major Davel – Antoine Rochat
- Une voix s’est tue – Vincent Hort
- Subjonctifs et participes – Jacques Perrin
- La théorie de l’assimilation – Olivier Delacrétaz
- 2044: Un million de Vaudois - Deuxième soir du séminaire de la Ligue vaudoise – Baptiste de Christen
- Léviathan numérique – Benoît de Mestral
- A la découverte de quelques communes oubliées – Le Coin du Ronchon