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La Fondation Beyeler fête ses vingt-cinq ans

Yves Guignard
La Nation n° 2218 13 janvier 2023

Loin des rives du Léman, encore sur le territoire de Bâle-Ville, mais à un jet de pierre de la frontière allemande, qui ne connaît la Fondation Beyeler? Ceux qui s’en vanteraient n’aiment sans doute pas l’art. Il s’agit du musée d’art le plus visité de Suisse. Il est certes derrière le château de Chillon, musée historique, mais loin devant ses concurrents directs. Cela fait vingt-cinq ans qu’Ernst Beyeler, marchand d’art à succès, s’étant fait tout seul, multimillionnaire et sans héritiers, a inauguré un musée portant son nom et construit par Renzo Piano. Un quart de siècle déjà. Entre-temps ont eu lieu des dizaines d’expositions de niveau international, la disparition du fondateur en 2010, et le lancement d’un projet pharaonique qui va ajouter au site deux bâtiments, dont un auditorium, et doubler la surface d’exposition ainsi que celle du parc. Peter Zumthor en est le maître d’œuvre et les travaux ont commencé.

Le parti pris de la Fondation pour célébrer ce brillant quart de siècle est une exposition des collections de manière étendue avec deux invités «surprise». Même si celles-ci ne comptent que 400 numéros environ, c’est encore trop pour tout montrer. Il y a donc un choix tout de même, mais le panorama est vaste et l’accent mis sur le dialogue. Car c’est ainsi qu’on rend le mieux hommage au fondateur, en étant subjectif, voire capricieux, et en s’émerveillant des correspondances qui s’établissent entre des œuvres. La collection Beyeler résulte de choix très précis, on ne trouvera par exemple presque aucun surréaliste (exception Max Ernst, Miró) et aucun réaliste non plus d’ailleurs. Mais on y trouve de la naïveté avec Rousseau, de l’impressionnisme basculant dans l’abstrait (Monet), beaucoup d’abstractions plus ou moins gestuelles (Rothko), du Pop Art (Warhol, Lichtenstein) et des figures humaines distordues en pleine crise existentielle (Picasso, Giacometti, Bacon). Le grand bouleversement perceptible depuis 2010 dans la politique d’achat est un accent très contemporain et une plus grande place faite aux artistes femmes. Tout cela se ressent dans l’accrochage actuel avec de belles découvertes.

Qu’en est-il des deux invités «surprise» Duane Hanson (1925-1996) et Doris Salcedo (*1958)? C’est avec une belle humilité que la Fondation, qu’on aurait pu croire faraude de ses succès, a voulu montrer un art qui fasse réfléchir et qui nous sorte de notre confort tout en émouvant. Doris Salcedo propose une installation majestueuse et poétique qui nous parle des flux migratoires et des trop nombreuses victimes qu’ils engendrent. N’en révélons pas plus: il y a de l’eau, des pierres recomposées et un procédé technique fascinant. Duane Hanson, le second invité – c’est toute la capricieuse ironie – n’a jamais été collectionné par Beyeler, ce n’était pas son goût, il faisait des sculptures hyperréalistes! Une douzaine d’entre elles est invitée à dialoguer avec les collections. On a ainsi un laveur de carreaux, un livreur, un peintre en bâtiment, un jardinier sur sa tondeuse… En effet, l’artiste a pris un soin tout particulier à illustrer des types, et non des individus, qui représentent souvent les strates les plus humbles de la société. Et la Fondation Beyeler d’affirmer par-là que son succès aussi est dû à tous ces «invisibles», ces travailleurs de l’ombre, de la gardienne de salle au technicien de surface! La présentation du Duane Hanson, à travers aussi des dialogues souvent pleins d’humour, est une manière de leur rendre hommage. Chapeau.

Notre satisfaction de Vaudois dans tout cela? Cette success story quasi hollywoodienne n’aurait peut-être pas été possible sans un expatrié vaudois, Jean Planque, qui fut l’acheteur, le dénicheur, l’œil, sur le second marché parisien, mais aussi jusque dans les ateliers d’artistes pour le compte d’Ernst Beyeler durant une quinzaine d’années. Certes, il faut relativiser, tout ne lui est pas dû, de loin, mais l’histoire est belle. Relisez «L’œil de Planque» de Béatrice Delapraz (Cheneau-de-Bourg, 2001) et mon passage préféré:

– Planque, c’est trop cher, vous savez bien que c’est trop cher.

– Beyeler, c’est pas trop cher, je vous dis que c’est pas trop cher, c’est le tableau qu’il faut avoir. Prenez-le Beyeler. Ne le laissez pas!

C’est charmant de se dire qu’à coup de gentilles disputes comme celles-ci s’est construite une partie de cette collection merveilleuse. Bon anniversaire à l’institution qui la recueille!

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