Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Réexportation d’armes

Pierre-Gabriel Bieri
La Nation n° 2264 18 octobre 2024

Les ventes d’armes suisses à l’étranger sont encadrées par une réglementation assez stricte. Chaque exportation nécessite une autorisation de la Confédération, et cette autorisation n’est pas accordée si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé, ou si l’on soupçonne que le pays de destination va transmettre les armes achetées à un pays tiers impliqué dans un conflit armé. Les gouvernements étrangers qui acquièrent des armes suisses doivent établir une déclaration formelle de non-réexportation.

La position «morale» qui prévalait il y a quelques années encore – la Suisse ne devrait pas exporter d’armes, ou le moins possible – s’est transformée depuis février 2022: de nombreuses voix, en Suisse et à l’étranger, réclament que la Confédération, à défaut de permettre la vente directe d’armes à l’Ukraine, autorise au moins la réexportation vers l’Ukraine d’armes suisses achetées par des Etats tiers.

Dans le courant de cet été, deux projets allant en ce sens ont été mis en consultation. Tous deux proposent de modifier la loi fédérale sur le matériel de guerre. Le premier, émanant du Conseil fédéral sur mandat du Conseil des Etats, propose que le Conseil fédéral puisse déroger aux critères d’autorisation habituels «en cas de circonstances exceptionnelles» et si cela est nécessaire à «la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité». Une telle dérogation suivrait les mécanismes du droit d’urgence. Le second projet, émanant de la Commission de politique de sécurité du Conseil national, propose que les déclarations de non-réexportation signées par les Etats qui achètent des armes suisses deviennent caduques après cinq ans (ou dix selon la minorité de la Commission).

On pourrait être tenté de renvoyer les deux propositions à leurs auteurs, en les déclarant contraires à la neutralité. Il n’est cependant pas inutile d’envisager quelques considérations de Realpolitik. La Suisse, pour une partie de sa propre défense, a besoin de sa propre industrie d’armement. Mais l’industrie d’armement helvétique, pour rester performante, dynamique et finançable, a besoin de vendre des équipements non seulement à l’armée suisse, mais aussi à des armées étrangères. Ses principaux clients, à l’heure actuelle, sont des Etats occidentaux, ceux-là mêmes qui piaffent d’impatience d’armer l’Ukraine. Une position intransigeante de la Suisse sur les réexportations d’armes – à supposer qu’on puisse l’obtenir dans le contexte actuel d’alignement politique – entraînerait donc le risque de fermer certains marchés d’exportation à notre industrie d’armement, ébranlant du même coup une partie de l’approvisionnement de notre défense nationale. La Suisse devrait certainement courir ce risque si sa neutralité était frontalement remise en cause… mais est-ce vraiment le cas des projets présentés cet été?

Le premier projet exprime une confiance totale dans le Conseil fédéral, auquel on permettrait de prendre des décisions selon sa seule appréciation et en s’affranchissant des principes définis dans la loi. Mais notre exécutif actuel, mis sous pression, risquerait alors de s’asseoir définitivement sur la neutralité en autorisant des réexportations quasiment immédiates depuis un Etat tiers agissant comme un simple intermédiaire. Ce serait assez choquant.

Le second projet apparaît plus acceptable: il exprime l’idée, somme toute raisonnable, que la Suisse peut difficilement exiger un droit de regard de durée illimitée sur les équipements qu’elle vend à l’étranger. Passé un certain délai, un pays doit pouvoir faire ce qu’il veut des armes qu’il nous a achetées, sans que cela n’engage notre volonté politique. Il reste à se mettre d’accord sur le délai: cinq ans, c’est un peu court; dix ans, comme demandé par la minorité de la Commission, ce serait mieux. Avec une telle concession, et pour autant que nous nous en tenions à cela, nous desserrerions quelque peu la pression sur notre industrie d’armement tout en préservant l’essentiel de notre neutralité.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*



 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: