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Le Pays de Vaud était-il une patrie avant 1536?

Sébastien Mercier
La Nation n° 2264 18 octobre 2024

(CRV n° 17, 1936)

De 1935 à 1946, les Cahiers (du n° 14 au 30) changent de mise en page et se consacrent à plusieurs thèmes à la fois. Le plus souvent, deux thèmes principaux sont présentés sur une trentaine de pages chacun, suivis de petits articles de deux ou trois pages, la plupart du temps littéraires ou artistiques. Les thèmes principaux se poursuivent souvent de cahier en cahier.

* * *

En 1936, à la suite d’une brochure distribuée à la fête de la Réformation aux jeunes du Canton et du toast à la Patrie du Comptoir suisse de la même année, la Ligue vaudoise, à travers ses Cahiers, souhaite remettre un peu d’ordre (et de tradition).

Elle s’insurge contre ceci: la volonté, empreinte de patriotisme suissard, de faire du Canton une création ex nihilo, une invention bernoise et suisse.

Auparavant, d’après eux, sans libertés, il n’y avait pas de Patrie. Il était temps pour la Ligue de produire enfin de l'histoire vaudoise, délaissée par l’école en ce temps-là déjà.

Force est de constater qu’il est spécial, ce Pays. Ses différentes villes, bien hétérogènes, ne connaissent l'unité qu'à travers la personnalité du Prince. Il représente leur unité politique, l’incarnation concrète et vivante du pouvoir.

Dès le XIVe siècle, les sources proposent différents renvois à une coutume de Vaud. En 1430, quand Amédée VIII, comte de Savoie, voulut moderniser et unifier l'administration de ses terres, il dut se résoudre à ménager une exception vaudoise. En préambule de sa nouvelle législation, il écrit: «Sous réserve de la sauvegarde des bonnes et louables coutumes de notre Patrie de Vaud.»

Sans doute, les Etats de Vaud (assemblée des délégués des villes vaudoises), non mêlés à la monarchie savoyarde, formaient déjà à cette époque un embryon important d'homogénéité politique. Les Etats généraux savoyards, quant à eux, votaient les impôts et les subsides. Les Vaudois s'y trouvaient aussi représentés, mais siégeaient à part et rendaient leur décision au monarque en toute particulière et unique souveraineté.

En 1456, la liberté vaudoise atteint alors son paroxysme dans l'ancien Régime: à Moudon, les Etats de Vaud décidèrent unanimement que les Vaudois ne «prêteront hommage à leur Prince qu'après que celui-ci aura juré lui-même respecter les franchises de la Patrie de Vaud».

De plus, militairement, le Pays de Vaud se mobilisait lors des diverses conquêtes des Savoies: les villes se défendaient mutuellement, partageaient les troupes: une unité militaire existait déjà.

Il reste le cas difficile (éternellement, sans doute) de la situation lausannoise par rapport au Pays. L'Evêché de la Belle Paysanne s'étendait à sa banlieue, Lavaux, une partie du Jorat, Bulle et Lucens.

Dès 1260, Pierre de Blonay, seigneur du Pays de Vaud, avait obtenu un partage du pouvoir temporel avec l'évêque sur la ville.

En 1344, un accord prouve la teneur d'un service militaire des Lausannois pour le Pays. De plus, l'évêque siège aux Etats de Vaud. D'ailleurs, ces derniers se réunissaient parfois à Lausanne. Lors de nominations d'évêques étrangers, les Vaudois, des Clées à la Veveyse, de Payerne à Lausanne, s’indignaient de ne pas avoir un tenant du cru, preuve supplémentaire, si l’on peut dire, d'un patriotisme bien existant.

Même un Bernois, nommé évêque somme toute logiquement (Berne était du diocèse de Lausanne), dut prendre un auxiliaire indigène devant la grogne vaudoise.

Il s'agit ensuite de qualifier la situation ambiguë de Vevey. Si le berceau de la Fête des vignerons était bien une ville rattachée au Chablais, les États de Vaud y siégèrent en 1532. Bien qu'administrativement chablaisienne, il y a lieu de se demander si Vevey, en fait, n'était pas déjà vaudoise.

Enfin, la conquête bernoise rebat les cartes d'une unification déjà en très bon chemin.

La liberté dans le Canton ne date pas de 1536: le servage avait disparu des campagnes et les communautés locales élisaient déjà leur syndic, appelé parfois gouverneur.

Le Cahier de la Renaissance vaudoise insiste aussi sur l'excellente entente entre les villes et sur le sentiment d'unité autour du terme Patrie, souvent cité. Il est aussi intéressant de constater dans nos contrées, à quelques exceptions près, les excellents rapports entre nos communes, notre bourgeoisie et notre noblesse.

Mais alors, comment expliquer la débâcle de 1536? C'est qu’un chef, indispensable à l'unité d'un territoire, manquait. La Savoie, déclinante depuis un demi-siècle, n'était plus à même de nous défendre. Nous changeâmes de maîtres, certes, mais il est absurde de prétendre que ce bouleversement serait une nouvelle naissance.

Ce qu'il faut relever du toast à la Patrie du Comptoir suisse de 1936 et des autres célébrations jubilaires, c’est que Berne nous apporta la Réforme ainsi qu’une place au sein de la Confédération helvétique. Le Cahier n’a pas pour but de remettre ces deux acquis en question. «Mais la vérité évangélique que le Jubilé avait pour mission de remettre en valeur, aurait eu tout à gagner à briller seule, dans sa pure essence religieuse, au lieu d’être entremêlée de mensonges historiques aussi compromettants pour elle qu’humiliants pour nous.» 1

Notes:

1           CRV 17, p. 28.

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