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Collégialité et esprit critique

Jean-François Cavin
La Nation n° 2264 18 octobre 2024

Le juge fédéral Thomas Stadelmann, centriste lucernois, s’est vu infliger un blâme par la Commission administrative du Tribunal fédéral, pour avoir critiqué la justice de Strasbourg et, un peu, celle de Mon-Repos dans une interview à l’Aargauer Zeitung. Avons-nous le droit de critiquer à notre tour cette sanction disciplinaire prononcée en haut lieu?

Beaucoup de décisions, en Suisse particulièrement, sont prises en collège. L’esprit de collégialité appelle une solidarité des membres de l’autorité, qui est certes une tradition précieuse, mais qui n’est pas absolue. Elle s’impose généralement dans les exécutifs, qui doivent mener et faire avancer le char de l’Etat; si chaque gouvernant commençait à publier son avis, le pouvoir tomberait en douve. Officieusement toutefois, on connaît parfois les tendances, voire les votes. Et on admet, exceptionnellement, qu’un motif de conscience puisse amener un membre du collège, non pas à critiquer la décision majoritaire, mais à ne pas défendre le dossier litigieux qui relèverait normalement de sa compétence. Les anciens membres de l’exécutif ne sont pas rigoureusement tenus à cette discipline; cependant, la dignité de leur magistrature passée rend souhaitable qu’ils s’expriment avec réserve sur les dossiers que traitent leurs successeurs, sauf options essentielles pour l’avenir du pays.

La situation est différente en matière judiciaire. Certes, les jugements de dernière instance ne doivent pas être contestés par les juges de ce tribunal, ni par ceux de la cour inférieure dont le prononcé a été annulé ou corrigé. On prend acte et on exécute. Mais cela n’empêche pas les opinions divergentes de s’exprimer, et pas seulement dans la doctrine. Au Tribunal fédéral (TF), lors des audiences publiques, les juges opinent tour à tour et chacun peut connaître leur avis. Certains tribunaux publient d’ailleurs les «opinions séparées» contraires à celle de la majorité, surtout en matière constitutionnelle; c’est le cas de la Cour de Strasbourg; on en discute pour le Tribunal fédéral; la Constitution vaudoise en proclame le droit pour les juges cantonaux, en toutes causes. Cela s’explique du fait que le droit est – un peu – une science et qu’il est donc utile de connaître les arguments avancés de part et d’autre pour étayer le verdict. Cela peut nourrir la doctrine, et aussi éclairer la valeur de l’arrêt appelé à constituer un précédent. Le désaccord d’un juge avec son collège juridictionnel, même au TF, est donc potentiellement public, et respecté comme tel.

La remise à l’ordre de M. Stadelmann est peut-être en partie compréhensible, dans la mesure où il semble avoir ouvertement critiqué une décision d’espèce du TF; encore faudrait-il savoir s’il a, en audience publique, déjà manifesté son avis, voire si un de ses pairs l’a fait. Elle ne l’est pas, en revanche, s’agissant du jugement de la Cour européenne des droits de l’homme donnant raison aux «Aînées pour le climat» et condamnant la Suisse pour inaction climatique. Ce jugement, déjà pourfendu dans nos colonnes, où l’on doit voir un acte politique et non judiciaire, est inacceptable pour toute personne de bon sens et pour tout juriste normalement constitué. Cet abus de pouvoir a été contesté par les Chambres fédérales, et le Conseil fédéral a pris ses distances. C’est la souveraineté qui est en cause. Il serait curieux que le Tribunal fédéral, ou du moins un de ses membres, soit tenu de rester muet sur cette question qui n’est plus un point de droit, mais un problème institutionnel.

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