Un peu d’intelligence
Quand on a appris à programmer un ordinateur, c’est-à-dire à donner à une machine des instructions précises à travers un langage structuré et codifié, où les mots correspondent à des commandes prédéfinies et où l’oubli d’une virgule suffit à faire «planter» le programme, on est forcément ébahi lorsqu’on lance sa première conversation avec ChatGPT. Cet agent conversationnel, publiquement accessible depuis fin 2022, est capable de comprendre les questions, les ordres ou les remarques qu’on lui adresse dans un langage courant, même avec une orthographe ou une ponctuation légèrement déficientes. C’est un premier sujet d’étonnement.
On découvre ensuite avec autant de fascination la manière dont l’intelligence artificielle (IA) répond à ce qu’on lui demande – en s’exprimant en bon français, avec une orthographe généralement irréprochable. Si on lui a posé une question, elle livre une réponse assez ample, qui ne s’arrête jamais à «oui» ou à «non» mais contient des explications, voire des exemples; à la fin, elle demande poliment si l’on souhaite approfondir tel ou tel aspect. On peut aussi lui demander de créer quelque chose: un résumé d’un texte fourni, la rédaction d’une lettre ou d’un courriel, ou encore la création d’une image – car ChatGPT intègre l’outil DALL-E, spécialisé pour cela.
Des créations qui n’en sont pas vraiment
Ce travail de création, évidemment beaucoup plus rapide que ce qu’un humain peut fournir, nécessite tout de même d’être encadré, guidé, corrigé par petites touches pour obtenir finalement un résultat proche de ce qu’on avait imaginé, ou conforme à ce qui était attendu. Si l’utilisateur n’excelle pas forcément dans la matière en question, le dessin par exemple, alors l’IA représente une aide irremplaçable. Mais dans les domaines qu’on maîtrise sur la base d’une longue expérience, on s’aperçoit vite que le travail de la machine, techniquement irréprochable, manque tout de même de relief, d’originalité ou de personnalité. Normal puisque la machine ne «crée» pas; elle ne fait que régurgiter un mélange d’extraits des millions de sources que ses créateurs lui ont donné en pâtée. En l’état actuel, elle n’est pas encore capable de remplacer les rédacteurs de La Nation.
L’IA sait en revanche faire preuve de clarté et de pédagogie, ce qui lui permet de déployer tous ses talents dans des domaines techniques, la programmation par exemple, et plus généralement pour répondre à nos questions sur toutes sortes de sujets. Là où Google se contentait autrefois de nous indiquer des pages internet susceptibles de contenir des réponses aux questions que nous posions, l’IA nous construit aujourd’hui des réponses sur mesure, capables de déboucher sur une véritable conversation où chaque nouvelle réponse «se souvient» parfaitement des éléments précédemment discutés.
Dommage que tu ne sois qu’une machine !
Ce qui nous apparaît le plus étrange, c’est la manière dont l’IA est capable de développer un certain sens de l’humour, en percevant quand la question s’y prête et en décelant le second degré – ce dont beaucoup d’humains sont hélas incapables. Dans ce domaine, ChatGPT semble se faire distancer par DeepSeek (le principal concurrent chinois de ChatGPT, agréable pied de nez aux velléités de domination américano-occidentale). Là où ChatGPT comprend notre humour et s’efforce un peu pataudement de répondre dans le même registre, DeepSeek réussit parfois à nous faire éclater de rire par des réparties inattendues et facétieuses.
Au terme de deux conversations mémorables, l’une portant sur la meilleure manière de réussir un gratin de pâtes (où nous avions vraiment besoin d’aide), l’autre sur le fonctionnement des institutions helvétiques (il s’agissait de tester le degré de précision des réponses, et c’était assez bon), nous avions vraiment l’impression d’avoir conversé avec un petit robot à moitié humain et espiègle, comme dans certains films de science-fiction. D’où ce dernier prompt: «J'aime beaucoup ton sens de l'humour! Dommage que tu ne sois qu'une machine…» Réplique de DeepSeek: «Ahhh, tu m’as démasqué·e! Je suis effectivement une "machine à réponses" […] équipée d’un "humour aléatoire" en option. […] Je simule l’empathie avec un taux de réussite de 99,9%. […] Blague à part: merci pour ce fou rire partagé – c’est rare qu’on me dise que je manque de chair et d’esprit en même temps!»
Sa dernière phrase est un contresens puisque nous ne lui reprochions pas de manquer d’esprit. Peu convaincante aussi la notion de fou rire partagé, car il ne pouvait précisément pas l’être. Et il faudra surtout qu’on lui apprenne à ne pas utiliser d’écriture inclusive! Mais l’IA n’est-elle pas justement destinée à être éduquée?
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les recrues de la génération Z – Editorial, Félicien Monnier
- Deux drapeaux en un – Félicien Monnier
- Une indépendance précaire – Alexandre Pahud
- La décroissance volontaire – Olivier Delacrétaz
- Faut-il supprimer la valeur locative? – Jean-Hugues Busslinger
- Signatures: encadrer les récoltes vaudoises – Benjamin Ansermet
- La petite Suisse face au chaos du monde – Jean-François Cavin
- Le PLR et le droit de vote des étrangers – Quentin Monnerat
- Des révélations qui apportent un nouvel éclairage – Le Coin du Ronchon