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Emballements sans distance

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2288 19 septembre 2025

Le pouvoir politique s’exerce à long terme. L’une des faiblesses du régime parlementaire est de remettre cette exigence en péril à chaque élection. Certains régimes cherchent à atténuer ces ruptures. Le septennat gaullien visait à découpler élections présidentielle et législative. Les juges de la Cour suprême américaine sont élus à vie. Il n’y eut, depuis 1848, que quatre exceptions à la règle quasi coutumière de la réélection automatique des conseillers fédéraux.

Ce sacrifice du temps long serait nécessaire pour permettre à la confiance de se renouveler. La confiance entre une autorité et ses citoyens est en effet une autre condition de l’exercice efficace du gouvernement. Elle permet aux citoyens de supporter des mesures difficiles, à défaut d’y adhérer. Mais le paradoxe est que pour être durable, la confiance nécessairement réciproque du citoyen pour ses autorités devra dépasser les clivages partisans.

La proximité d’un niveau de pouvoir avec ses administrés tend à favoriser le développement de cette confiance et facilite l’unité du gouvernement. C’est l’une des grandes vertus du fédéralisme et de l’autonomie communale. Deux récents exemples montrent toutefois que, même dans ces niveaux, la division et la méfiance guettent.

La fracassante conférence de presse de la Municipalité de Lausanne sur le prétendu racisme systémique de sa police n’a pas fini de faire des vagues. On imagine aisément combien les agents ont pu se sentir jetés en pâture aux ambitions révolutionnaires de la gauche dite «radicale». Si le Conseil communal vient de rejeter une motion d’extrême-gauche pour l’abolition pure et simple des courses-poursuites, il en a accepté une du groupe socialiste visant à les soumettre à un moratoire, soit une interdiction temporaire.

Le Blick a pourtant dû se résoudre à signaler le très fort soutien de la population, sur les réseaux sociaux, à la police de Lausanne. Le sentiment fait son chemin que la Municipalité affaiblit ses forces de l’ordre au nom de concessions idéologiques, voire électorales, au détriment de la sécurité des derniers commerçants et citoyens encore disposés à travailler ou vivre au centre-ville.

Au niveau cantonal, l’affaire du bouclier fiscal a récemment connu un nouveau sursaut. Le rapport rendu par M. François Paychère établit que, depuis 2011 au moins, l’administration cantonale était au courant que la routine de taxation informatisée du bouclier fiscal donnait des résultats contraires à la loi, en faveur des contribuables1. Le correctif n’a été apporté qu’en 2021, après la votation d’un paquet de mesures fiscales, entrées en vigueur en 2022. C’était à la veille du départ de M. Broulis. Si les publications d’usage sont naturellement intervenues, les contribuables concernés et les milieux économiques semblent n’avoir rien vu passer.

L’affaire Dittli peut être lue sous ce prisme. Pour M. Mauro Poggia, inattendu sur une affaire vaudoise, Mme Dittli est la victime expiatoire des combines radicales. De son côté, la gauche se met à mi-mandat à rêver de récupérer le siège perdu de Cesla Amarelle. On ignorera sans doute longtemps l’implication réelle de M. Broulis dans ces errements. Mais, si implication il y a, il n’est pas dans l’intérêt du PLR de lâcher son sénateur.

L’ensemble du dossier révèle surtout de profonds et anciens dysfonctionnements au sommet de l’Etat, au moins en termes de flux d’informations. Il met en doute l’influence réelle du politique sur l’administration, comme la capacité du politique à assumer ses erreurs.

Dans les deux cas que nous venons d’évoquer, il y eut des emballements – le terme est de M. Paychère2 – et des pertes de maîtrise. Les exécutifs concernés les justifièrent au nom de l’urgence qu’il y aurait eu de «faire la lumière» sur des événements récents, tensions interpersonnelles dans le cas cantonal, transmission par le Ministère public de messages WhatsApp dans l’affaire lausannoise. Mais des agendas parallèles, des loyautés personnelles mal placées et des intérêts électoraux contaminèrent ces emballements, les aggravant du même coup.

Il est dommage qu’il ait fallu attendre, dans le cas vaudois, la publication d’un nouveau rapport pour amener, espérons-le, une occasion d’apaisement. Il manque souvent, dans nos crises politiques, quelqu’un qui puisse, dès le début avec le recul et l’autorité nécessaire, dire «stop».

Notes:

1   François Paychère, Rapport visant à établir un état de fait du traitement du bouclier fiscal, rapport complémentaire, du 18 août 2025, p. 7.

2           «La méconnaissance générale des défauts de la taxation en matière d’application du bouclier a conduit factuellement à un emballement des autorités, mais aussi des milieux intéressés et des jurisconsultes qu’une communication plus ouverte aurait pu éviter.», Rapport Paychère du 20 juillet 2025, p. 30

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