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Idéologie nationaliste?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1961 22 février 2013

Idéologie nationaliste?

Les rédacteurs de La Nation parlent volontiers d’idéologie à propos du libéralisme, du socialisme ou de l’écologie. N’est-ce qu’une facilité pour déconsidérer leurs adversaires sans se donner la peine d’argumenter?

Nous utilisons le terme «idéologie» à propos de tout système expliquant le monde – et prétendant le régenter – sur la base d’une idée ou d’une réalité considérée comme première: l’égalité, par exemple, la liberté individuelle, la morale, la race, la nature, la lutte des classes… L’idée, vraie ou fausse, la réalité, avérée ou illusoire, est à ce point indiscutable pour ses adeptes qu’elle en devient un absolu.

En regard de cet absolu qui prend toute la place, les réalités de ce monde sont de peu de poids. On peut les négliger, on le doit même. On doit, au nom de l’environnement, par exemple, du marché libre, de la solidarité, faire litière de la propriété privée, des libertés personnelles, des souverainetés cantonales ou de l’indépendance de la Suisse.

La simplicité et l’apparente clarté de l’idéologie lui permettent de soulever des populations entières, les privant de leur bon sens, cassant leurs freins moraux, leur faisant oublier leurs intérêts concrets. L’idéologie donne aux gens l’illusion de rejoindre un mouvement qui transcende le cours de leur vie ordinaire. Familièrement dit, elle leur fait prendre leurs désirs pour des réalités.

Mais les autres réalités, ces réalités que les idéologues négligent, se rappelleront tôt ou tard à leur bon souvenir.

Ainsi, les foules du printemps arabe ont été mises en mouvement par une vision totalement idéologique de la liberté et de la justice. Celles-ci devaient naître spontanément de la destruction de l’ordre ancien. On voit ce qu’il en est aujourd’hui.

En fait, l’efficacité de l’idéologie est purement négative. La révolution ne crée rien, si ce n’est un vide politique dans lequel s’engouffrent toutes les forces qui veulent imposer leur propre conception du pouvoir. Les révolutions arabes ont engendré un chaos tel que seul un pouvoir plus dur encore que le précédent semble à même de rétablir l’ordre minimum nécessaire à la survie quotidienne.

Ça se passe d’ailleurs toujours ainsi, mais on l’oublie toujours, tant on a envie de l’oublier, tant on aime l’aveuglement confortable de l’idéologie.

Revenons à nous, qui critiquons les idéologies. Ne sommes-nous pas nous-mêmes des idéologues de la nation? Notre vision des choses n’est-elle pas elle aussi faussée par un absolu?

La différence, c’est peut-être que les fondateurs de la Ligue vaudoise n’ont pas commencé leurs réflexions en désignant la nation comme une référence absolue puis en élaborant toute leur doctrine à partir d’elle.

Ils ont commencé par poser une affirmation générale: la distinction du temporel et du spirituel. Distinction, pas séparation: il ne s’agissait pas de classer les choses et les êtres selon qu’ils auraient appartenu soit au monde temporel soit au monde spirituel. Ils voulaient plutôt définir leur propre place et leur propre rôle en distinguant les deux mondes et leurs relations inégales. Mais ils jugeaient qu’ils devaient rendre des comptes à l’un et à l’autre.

Il s’agissait d’une orientation générale de l’intelligence et de la volonté par la reconnaissance de deux faits en tension permanente: la subordination des êtres et des choses au Créateur et l’autonomie dont ce même Créateur les avait pourvus, chacun selon sa nature.

Dans cette perspective, qui est encore la nôtre, l’absolu appartient à Dieu seul. Les réalités d’ici-bas, même les plus élevées, sont de l’ordre du relatif. Pour autant, il ne faut pas, au nom de l’absolu, rejeter ou mépriser même la plus insignifiante d’entre elles.

La distinction entre le temporel et le spirituel cadre et structure le champ de la réflexion et de l’action humaines. Elle interdit d’appliquer un seul et même critère de jugement à toute chose. Elle contraint l’homme politique à examiner chaque réalité sociale, chaque institution pour en saisir la raison d’être et le fonctionnement, ainsi que ses relations avec les autres institutions. Elle impose de respecter le rythme propre de chacune, c’est-à-dire, souvent, de faire preuve d’une patience inacceptable aux yeux de l’idéologue.

En lisant des numéros anciens ou récents de La Nation, on voit que ses rédacteurs ne se contentent pas de mettre en valeur la communauté vaudoise. Ils réfléchissent tout autant sur les communautés qui la constituent, les familles, les communes, les entreprises, les corporations et les syndicats, l’Eglise, à cheval sur le temporel et le spirituel. Et ils le font du point de vue spécifique de ces communautés et pas simplement en tant qu’elles sont des parties de la nation.

Si la nation a pris une place centrale dans leurs réflexions, c’est parce que c’est dans son temps long que nous plongeons nos racines familiales. C’est la nation qui noue la gerbe des autres communautés humaines. Et c’est la nation qui, pourvue des instruments du pouvoir étatique, protège l’autonomie de ces communautés et le territoire sur lequel elles vivent.

Ainsi, nous ne sommes pas vraiment des idéologues de la nation. Ou disons que nous nous efforçons, quinzaine après quinzaine, de défendre le Pays de Vaud en résistant à l’esprit de simplisme et d’aveuglement volontaire propre à l’idéologie.

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