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Fenêtres

Yves Guignard
La Nation n° 1961 22 février 2013

Ouvrez grand les volets, l’Hermitage n’en est pas encore aux nettoyages de printemps, mais il consacre une exposition aux fenêtres! Tout de suite, on pourrait considérer que cela revient finalement à enfoncer des portes (-fenêtres) ouvertes, et alors?

L’originalité n’est pourtant pas à mettre en cause. Bien sûr, c’est l’évidence, on a vu des tonnes de fenêtres dans l’histoire de l’art car ses fonctions sont multiples: la fenêtre apporte la lumière, la fenêtre est une métaphore du tableau, c’est à dire un rectangle dans lequel on regarde, la fenêtre est un écran entre intérieur et extérieur, etc. Ce n’est pas pour cette raison qu’il ne faut pas s’en emparer comme un thème, bien au contraire, encore que cela comporte des risques.

On aurait pu avoir une exposition très intellectuelle et paradoxalement obscure et on aurait pu avoir un joyeux fourretout, sans propos, avec de sympathiques coups d’œil par la lucarne mais rien à se mettre sous la dent – nous tombons, avec bonheur, pile entre ces deux extrêmes.

L’Hermitage, en collaboration avec le musée de Lugano, propose une exposition vaste, construite, explicite dans ses thèses et tout à fait charmante. L’amateur de sensations fortes y verra des tableaux splendides par les grands coloristes qu’il connaît; le connaisseur blasé, même lui, y découvrira une quantité de choses car un soin particulier a été mis à aller chercher tableaux et fascinants petits maîtres hors des sentiers battus. Pour ce faire, la multitude des prêteurs impressionne, on semble y trouver presque tous les musées d’Europe, de Londres à Troyes, de Rouen à Forlì, de Bochum à Salenstein/ Thurgovie. Rien d’une petite exposition régionaliste, ou d’une énième puisée dans les si riches collections privées suisses; on ratisse large, surprend, enchante!

La scénographie de l’exposition se décline par étage, en commençant, au rez-de-chaussée, par évoquer différents rôles et statuts de la fenêtre dans la peinture depuis la Renaissance et jusqu’au XIXe siècle. On y trouve une salle consacrée à la gravure et aux livres rares, avec les ouvrages d’Alberti, les théories de la perspective. On y voit aussi de petites gravures, des portraits dans les yeux desquels se reflète une fenêtre, amour du détail qui fait mouche. Le rez-de-chaussée est le lieu de curiosités charmantes, comme cet anonyme qui représente un homme sous une branche d’arbre, en gros plan, rien que de très normal, mais ici deux éléments, meneau et traverse, appartenant au cadre du tableau barrent l’image, c’est une fenêtre!

Le premier étage est plus moderne, plus renversant. Les à-plats y règnent et les couleurs chantent davantage. On interroge à l’aide des exemples les plus vendeurs, de Matisse à Balthus en passant par l’excellent Marius Borgeaud, la manière dont la fenêtre dans l’art moderne ne fait plus du tout office de trompe l’œil, ni même d’échappatoire vers la profondeur. La fenêtre, dans ces tableaux, se dresse, nous faisant perdre l’équilibre. Non qu’on craigne d’y tomber, mais parce qu’elle brusque la régularité de la composition, introduit des lignes, des surfaces nouvelles qui créent rythme et contre-pied.

Le dernier étage est surréaliste, et non moins généreux en grands noms. On y croise Magritte, Ernst et De Chirico et l’on ne sait plus si l’on est à l’intérieur, à l’extérieur, regardant dedans ou dehors, tous les codes y sont bouleversés pour notre plaisir amusé.

Le sous-sol est le lieu où l’on fractionne, éclate et éparpille, le royaume des cubistes mais pas seulement. On y trouve une magnifique salle de photographie où le vertige nous prend et on termine par une grande section plus contemporaine qui nous confronte à la fenêtre-objet, la fenêtre fermée la plupart du temps, la vitre recouverte de blanc d’Espagne, en somme. A nouveau, on trouve de quoi enchanter les amateurs avertis, même si quelques cubes en agaceront plus d’un.

Retenons surtout qu’il s’agit d’une exposition tous publics et sans risque de déplaire, pour le moins entièrement, chacun y trouvant son compte. Et pour ceux qui seraient tentés d’approfondir, on ne peut que recommander les visites guidées, il y a de la matière.

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