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Le peuple autrichien plébiscite l’armée

Jean-Jacques Langendorf
La Nation n° 1961 22 février 2013

Durant la guerre froide, une devinette circulait en Autriche: Was ist klein, grau, liegt im Felde und zittert? (Qu’est-ce qui est petit, gris, couché dans un champ et tremble?), la réponse étant «l’armée autrichienne». En fait, cette plaisanterie ne forçait pas la note. Le traité d’Etat du 15 mai 1955 signé par les puissances occupantes, Union soviétique, USA, Grande-Bretagne et France, accordait son indépendance à l’Autriche, avec quelques restrictions: renonciation entre autres à tout rattachement à l’Allemagne et, dans le domaine de la défense aérienne, interdiction de posséder des fusées sol-air ou air-air. Quant à la neutralité, elle n’a pas été imposée mais simplement acceptée, avec la plus grande satisfaction, par les Soviétiques. Ainsi, au point de vue géopolitique, deux Etats neutres, Autriche et Suisse, coupaient l’Europe occidentale en deux, de la frontière hongroise à la frontière française. Géo-stratégiquement, l’affaire n’était pas mauvaise. Cette situation nouvelle obligeait l’Autriche à se doter d’une armée, même rachitique, ce qu’elle fit initialement à partir du contingent de la gendarmerie. Elle connut très rapidement son «baptême du feu», étant contrainte de surveiller la frontière durant la «révolution» hongroise de 1956 (en réalité une noble contre-révolution) et plus tard celle de la Tchécoslovaquie (1968) et de la Yougoslavie (1991). En même temps, elle participait à des missions à l’étranger pour, comme on dit si joliment, «assurer la paix» (Golan, Chypre, etc.). Les socialistes tout puissants gouverneront seuls de 1970 à 1983. Or, ils sont viscéralement hostiles à l’armée, lui reprochant entre autres d’avoir écrasé l’insurrection ouvrière de 1934 à Vienne. Actuellement, elle dispose de 36000 hommes sous les drapeaux – qui servent de 17 à 50 ans pour six mois. Il s’agit de soldats de métier (16500) et d’appelés ainsi que d’une réserve de 30000 soldats de milice, avec pour équipement une soixantaine de chars Leopard ainsi que des blindés légers de construction locale et quinze Eurofighter, qui ne sont que partiellement utilisés, les dépenses se montant au 0,86% du produit intérieur brut, ce qui constitue un des niveaux les plus bas pour un pays européen. Conséquence: un important projet de réforme de 2004 échouera essentiellement en raison du manque de fonds.

En 2009, un nouveau ministre de la défense est désigné, Norbert Darabos. C’est un pâle apparatchik socialiste qui se singularise au moins sur un point: il n’a jamais fait de service militaire. D’abord chaud partisan de la conscription universelle, il va changer son fusil d’épaule, comme la plupart de ses collègues qui se sont empressés de renier «l’armée du peuple», chère à Jaurès et à tous les socialistes de l’ancienne école. Sur ce point, un conflit violent l’opposera au chef d’état-major, le général Edmund Entacher, qui est hostile à l’armée de métier. Début 2011, il le relève de son commandement entre autres parce que, dans une interview, il a défendu le point de vue que le ministre appuyait encore quelques semaines auparavant. Mais l’officier supérieur n’accepte pas la sanction et, finalement, est réintégré. Imperturbable, en dépit de cette gifle, le ministre s’agrippe à son fauteuil. A la même époque, soutenu par le plus grand organe de presse du pays, la Kronenzeitung (tiré à plus de 800000 exemplaires), il décide de lancer un référendum portant sur la suppression de l’armée. L’institution du référendum existe en Autriche mais sa portée est bien moindre qu’en Suisse. Si l’objet proposé est accepté, il doit faire l’objet d’un débat parlementaire et rien de plus. Mais, en l’occurrence, les socialistes et les chrétiens-sociaux (favorables eux au maintien de l’armée), qui forment un gouvernement de coalition, décidèrent qu’ils respecteraient la décision populaire. Dans les rangs des défenseurs de l’armée, l’ambiance était plutôt au pessimisme. On craignait une participation très basse, 35% au mieux, et un refus. Or, le 20 janvier, ce fut la divine surprise: participation de près de 60%, 60% des électeurs se prononçant pour le maintien de l’armée, l’ensemble de l’Autriche votant pour, à l’exception de Vienne. Imperturbable, M. Darabos annonce qu’il ne démissionnera pas.

L’Autriche possède une très ancienne et très glorieuse tradition militaire. La population est attachée à son armée, le service militaire est fort bien vu dans toutes les régions rurales (75% de votants en sa faveur dans mon petit village, proche de la frontière morave) et dans les villes de province, les jeunes étant loin de s’en détourner. On peut d’ailleurs se demander si la lamentable personnalité du ministre Darabos n’a pas encore contribué à renforcer le résultat du vote.

Cela serait bien la première fois qu’un socialiste aurait rendu service à l’armée!

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