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Suivez le guide - Déserteurs catholiques, protestants clandestins et un pasteur original

Ernest Jomini
La Nation n° 1966 3 mai 2013

Quand nous passons devant l’ancien évêché, qui fut une prison au XIXe siècle, nous repensons parfois à un épisode peu connu de la guerre du Sonderbund, que nous a raconté un Vaudois originaire d’une des communes catholiques du district d’Echallens. La veille de la mobilisation, un émissaire de l’évêché avait passé dans toutes les paroisses catholiques pour ordonner aux soldats, sous peine d’excommunication, de ne pas se présenter à la mobilisation et d’aller se réfugier dans le canton de Fribourg. L’arrière-grand-père de notre interlocuteur avait le plus haut grade du district. Major, il commandait un bataillon de carabiniers. Il déserta, comme tous ses coreligionnaires. Après la défaite des cantons du Sonderbund, le gouvernement radical vaudois fit passer en conseil de guerre tous les déserteurs. En premier, bien sûr, le major. Sa sanction fut la plus lourde. On lui arracha publiquement ses galons sur la place du Château, puis on l’envoya méditer dans les cachots de Chillon où il passa plusieurs mois. Tous les autres militaires (plus d’une centaine) qui ne restèrent pas camouflés dans le canton de Fribourg furent arrêtés à leur retour dans leur village, condamnés et enfermés pendant des semaines dans la prison de l’ancien évêché.

Notre ami et ancien rédacteur de La Nation, feu Me André Manuel, nous raconta que ses arrière-grands-parents, en compagnie d’autres membres de l’Église libre vaudoise, se rendaient régulièrement au pied des murs de la prison et accrochaient, à des ficelles lancées des fenêtres, des paniers de victuailles destinés à améliorer l’ordinaire des prisonniers. Œcuménisme avant la lettre: n’étaient-ils pas les uns et les autres victimes des persécutions du méchant radical Henry Druey? Chaque dimanche, les prisonniers se groupaient pour chanter les vêpres, comme ils en avaient l’habitude dans leurs paroisses du Gros-de-Vaud, en ayant bien soin d’ouvrir toutes grandes les fenêtres: on entendait leurs chants résonner jusqu’à la Palud.

On aurait pu éviter d’en arriver là. Quelques jours avant la mobilisation, le doyen Longchamp, de Bottens, et le curé Martin, d’Assens, avaient rencontré le conseiller d’État Druey pour lui proposer une solution bien vaudoise: les soldats catholiques du district seraient affectés au service de l’arrière et n’auraient pas à faire le coup de feu contre leurs coreligionnaires. Le magistrat radical avaient sèchement refusé.

Faisons quelques mètres en direction de la Cathédrale: surplombant les Escaliers- du-Marché une étrange construction en bois de couleur grise se présente à nos yeux, puis un jardin (dont on ne voit qu’une partie) et la maison Levade qui abrita de 1783 à 1812 le Séminaire français de Lausanne, comme le rappelle une plaque apposée contre la maison. L’Église réformée de France, clandestine depuis la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV (1685), souffrait de n’avoir plus de faculté de théologie pour former ses pasteurs. En 1729, Antoine Court, pasteur du Languedoc, vint s’établir à Lausanne pour y organiser une faculté de théologie clandestine, appelée le Séminaire français. A Genève ou à Berne, les agents diplomatiques français étaient trop présents. A Lausanne au contraire, ce Séminaire mi-clandestin était bien à sa place: LL.EE. de Berne étaient au courant, mais feignaient de ne rien savoir.

Logés dans des familles, les jeunes Français ne suivaient pas les cours de l’Académie mais se regroupaient en divers lieux pour recevoir l’enseignement de certains pasteurs lausannois. Dès 1783 et jusqu’en 1812, le pasteur Levade, devenu propriétaire de cette maison, organisa chez lui ces cours de théologie. La Révolution française, puis l’instauration de l’Empire napoléonien, qui reconnut officiellement l’Église protestante, rendit inutile l’existence du Séminaire. Grâce à cette institution, trois à quatre cents pasteurs français furent formés à Lausanne avant de s’en retourner dans leur pays affronter les dangers d’un ministère clandestin. Plusieurs d’entre eux furent arrêtés et condamnés, certains même exécutés.

Le pasteur David Levade (1750- 1834) avait d’abord exercé son ministère à Londres, puis à Amsterdam. C’est à son retour au pays qu’il avait acheté la propriété située en face de l’entrée de la cathédrale. S’inspirant d’une construction qu’il avait vue en Hollande, il fit édifier ce bizarre pavillon de bois qui aujourd’hui encore intrigue les visiteurs. On y accède par un escalier, invisible de la rue. A l’intérieur se trouvent des représentations mythologiques et allégoriques des quatre saisons, œuvre d’un peintre parisien de passage à Lausanne. Levade aimait séjourner dans ce pavillon pour travailler, méditer et aussi pour contempler la vue sur la ville et sur le lac. Hélas! ce pavillon n’est que très rarement ouvert au public.

Pasteur, professeur au Séminaire français, puis dès 1812 à l’Académie, Levade fut le fondateur de la «Société biblique vaudoise» qui au début du XIXe siècle contribua à la diffusion de la Sainte Écriture. C’était un personnage hors du commun. Appliquant à la lettre la devise latine: Memento mori (= souviens- toi que tu dois mourir!), il avait fait construire, vingt ans avant son décès, son propre cercueil, l’avait installé dans sa chambre et couvert de textes écrits de sa main. Dans son testament, il avait précisé que sa tête, dans son cercueil, devait reposer sur son Nouveau Testament en grec, qu’il lisait journellement. «C’est un ami, disait-il, dont je me suis bien trouvé et dont je ne veux pas me séparer.»

Levade avait épousé une demoiselle Bugnion, décédée dans la maison et ensevelie dans le jardin. En 1927, l’État de Vaud racheta la maison de l’hoirie Chavannes-Bugnion. Pendant une bonne partie du XXe siècle ce fut le siège du Conseil synodal de l’Église réformée vaudoise.

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