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La troisième chambre se rebiffe

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1893 16 juillet 2010
La Conférence des gouvernements cantonaux a été créée en 1992 pour faire respecter les intérêts des cantons dans la politique étrangère de la Confédération. C’est une sorte de troisième chambre, un Conseil des Etats hors institutions. Les partis y jouent un rôle minime. Elle ne prend position qu’à une majorité de dix-huit cantons au moins.

Témoignage de la dérive du personnel politique fédéral, la Conférence défend essentiellement l’autonomie cantonale contre le Conseil fédéral… alors même que cette défense est en principe la tâche essentielle de celui-ci!

On se rappelle qu’elle a fait aboutir le premier et seul référendum des cantons ayant jamais été lancé. Il s’agissait d’un paquet fiscal particulièrement mal venu que le peuple refusa sec et sonnant.

La Conférence vient à nouveau de se manifester avec éclat dans le cadre de l’affaire Kadhafi. Elle a dénoncé sans prendre de gants la décision du Conseil fédéral de soumettre l’arrestation d’Hannibal Kadhafi par la police genevoise à l’examen d’un tribunal arbitral international. Elle la juge avec raison comme une ingérence inacceptable de la Confédération dans les affaires genevoises.

Dans un communiqué du 25 juin dernier, la Conférence écrit: Les gouvernements cantonaux constatent que le canton de Genève n’a été ni informé ni consulté par la Confédération avant la signature des accords du 20 août 2009, du 14 mai et du 13 juin 2010. De l’avis des gouvernements cantonaux, le procédé adopté par le Conseil fédéral en rapport avec la signature de ces accords ne respecte clairement pas les droits de participation du canton de Genève au sens de l’art. 55 de la Constitution fédérale.

Les gouvernements cantonaux constatent de plus que ces accords entraînent une ingérence dans la souveraineté policière et judiciaire du canton de Genève de même que dans le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Pour les gouvernements cantonaux, la question de la définition des limites constitutionnelles des compétences du Conseil fédéral en politique étrangère et du respect de ces limites se pose.

Concrètement, les conclusions du tribunal international pourraient mordre largement sur la souveraineté cantonale, voire imposer à Genève une décision contraire au droit suisse. M. François Longchamp, président du gouvernement genevois, a d’ores et déjà prévenu Berne que son canton n’appliquera pas une telle décision. C’est la moindre des choses.

Certains jugent que les moyens mis en oeuvre pour arrêter et détenir le petit Hannibal étaient disproportionnés. On ne le saura jamais, ignorant ce qu’une intervention douce aurait suscité chez ce coutumier de la résistance physique à la force publique. D’autres estiment qu’une certaine prudence politique aurait dû inciter les autorités genevoises à mettre la pédale douce. Ça se discute. Ce qui est sûr, c’est que le Conseil fédéral était dans le coup dès avant l’arrestation, ayant été constamment tenu au courant des faits. De toute façon, il existe, à Genève et en Suisse, un ordre juridique qui permet aux personnes lésées par la police de porter plainte et, cas échéant, d’obtenir réparation.

Et dans tous les cas, comme l’a justement dit M. Pascal Broulis, président du Gouvernement vaudois et président de la Conférence des gouvernements cantonaux, «on règle les comptes à l’intérieur du pays, pas à l’extérieur».

Nous avons toujours affirmé que les souverainetés cantonales constituaient le bouclier du Conseil fédéral. Son autorité est faible face à l’extérieur parce qu’il ne détient pas un pouvoir propre, contrairement aux chefs d’Etat ordinaires, mais un pouvoir délégué. Il doit rendre des comptes à ses mandants. L’avantage, c’est qu’il peut invoquer les souverainetés cantonales et la démocratie directe pour marquer une intransigeance totale et faire valoir face aux Etats étrangers que les institutions suisses lui interdisent de passer par où ces Etats voudraient qu’il passe. Le Conseil fédéral, qui oublie que nous sommes une Confédération, a fait l’inverse. Il a voulu jouer tout seul, il s’est ridiculisé, et nous avec.

C’est une constante psychologique universelle que les autorités faibles face à l’extérieur se comportent avec brutalité à l’égard de ceux dont elles ont la charge et dont elle sont en train de trahir les intérêts. C’est un jeu de compensation: le Conseil fédéral a agi d’une façon symétriquement indigne à l’égard de la Libye, devant laquelle il a rampé, et à l’égard du canton de Genève, auquel il prétend faire payer son humiliation. La Conférence des gouvernements cantonaux a bien fait de le lui dire en face et publiquement.

Nous avions à l’époque émis des réserves à l’égard de cette troisième chambre, craignant qu’elle ne soit rapidement investie par les partis, craignant aussi qu’elle ne noue des rapports trop étroits avec l’administration fédérale, en un mot qu’elle ne devienne finalement un instrument supplémentaire de centralisation. Ces craintes subsistent en arrière-fond, mais pour l’heure, nous ne pouvons que nous féliciter de son existence, de ses discours et de son action.

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