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Le compte épargne santé

Cédric Cossy
La Nation n° 1893 16 juillet 2010
Dans son numéro de juin dernier, le Courrier du médecin vaudois consacre un dossier au compte épargne santé. un tel système est appliqué avec succès depuis 1984 à Singapour, petit Etat dans lequel les dépenses de santé ne représentent que 3,5% du PIB (contre 11,4% en Suisse), alors que l’espérance de vie y est à peine plus courte que celle des Helvètes.

Le financement du système singapourien s’appuie sur trois piliers. Le plus important est le compte épargne santé. Chacun a l’obligation de placer 6 à 8% de ses revenus sur un compte épargne dont le débit est strictement réservé au paiement de ses frais de santé et de ceux de ses proches. L’usage de cette épargne ne peut se faire que pour honorer des actes tarifés aux prix pratiqués dans les hôpitaux publics. L’individu paie la différence de sa poche s’il désire se confier aux soins d’un établissement privé pratiquant des tarifs plus élevés. L’épargnant bénéficie en outre de l’intérêt des sommes déposées.

Ce financement individuel est épaulé par deux assurances sociales distinctes. La première se substitue au compte épargne santé pour les patients n’ayant pas de revenu ou un revenu insuffisant pour alimenter un tel compte (10% de la population y ont recours). La seconde couvre des maladies très graves ou rares dont les coûts de traitement dépassent les possibilités du compte épargne santé.

L’avantage du système relevé par le Courrier du médecin vaudois est une meilleure appréhension des coûts par le patient (il paie lui-même directement ses factures) qui, en conséquence, réfléchit à deux fois avant de consulter et négocier avec son médecin le traitement présentant le meilleur rapport soins/coûts. Contrairement au système de la LAMal où l’assuré tend à exiger le maximum des soins permis par le paiement de ses primes, cette approche rend la relation patient-médecin plus libre et responsable. Faisant le parallèle avec la médecine dentaire en Suisse (les Helvètes sont les champions du monde de la brosse à dents), le Courrier suggère, mais sans l’affirmer trop fort, que le compte épargne santé est un candidat à considérer très sérieusement pour remplacer la LAMal.

* * *

Le succès avéré du système à Singapour est-il une garantie de son applicabilité en Suisse? Nous nous permettons d’en douter pour diverses raisons, dont les premières tiennent aux différences culturelles, démographiques et climatiques entre ces deux petits pays. Premièrement, Singapour est majoritairement peuplée d’immigrés chinois et indiens ou de leurs descendants (les autochtones malais sont minoritaires). Il y a pour ces populations une tradition commerciale qui rend naturelle la négociation et le marchandage des traitements entre patient et médecin. Ce n’est pas dans l’habitude des Suisses. Deuxièmement, l’indigence n’est socialement pas bien vue à Singapour: être à la charge de l’Etat et se faire astreindre à des travaux d’utilité publique est une honte lourde à porter; on préfère plutôt s’endetter auprès de privés pour résoudre ses problèmes. Pas étonnant donc que seuls 10% de la population émargent à l’assurance sociale se substituant à l’épargne santé! Pour comparaison, rappelons que près de 21% de la population vaudoise bénéficient de subsides pour leur assurance maladie. Troisièmement, Singapour a une population jeune, alimentée par une immigration économique dans la force de l’âge. La consommation médicale est donc forcément inférieure à celle des Suisses vieillissants. Enfin, le spectre et la fréquence des maladies bénignes (rhumes, grippes, fièvres…) est certainement différent dans un pays tropical où la température ne descend jamais en-dessous de vingt degrés.

Le système pose en outre de nombreuses questions. Qui contrôle l’alimentation régulière des comptes épargne santé et leur bonne utilisation? Qui gère la tarification des actes médicaux et comment? Quelles sont les règles de partage ou de succession appliquées à cette épargne en cas de divorce ou de décès? Quel est le statut fiscal de cette épargne obligée et de ses intérêts? Singapour a certainement fixé des règles de fonctionnement dont le dossier du Courrier du médecin vaudois ne dit hélas mot. Il faut aussi évoquer les problèmes spécifiquement suisses que le passage de la LAMal à un tel système ne manquerait pas de poser. Par exemple, quelle fraction du salaire faudra-t-il mettre en épargne? Les coûts actuels de la santé dans le Canton représentent l’équivalent de 18% de la masse salariale et, même soutenue par des compléments sociaux, une épargne individuelle de 6 à 8% sera nettement insuffisante. Comment va-t-on gérer le cas des assurés en fin de vie active? Ceux-ci ont, au cours de leur vie, généralement cotisé nettement plus qu’ils n’ont consommé. Il semble difficilement acceptable de leur couper les prestations au moment où, avec l’arrivée des maux de l’âge, la solidarité consubstantielle à la LAMal devrait jouer en leur faveur. Plus généralement, comment va-t-on convaincre les Suisses du bienfait de l’abandon de cette solidarité, même si elle est déjà bien mise à mal par les multiples possibilités d’assurances complémentaires?

Nous partageons l’analyse des médecins vaudois sur nombre de tares de la LAMal, notamment sur la déresponsabilisation du patient et du praticien. Il n’est cependant pas nécessaire d’aller chercher un système de financement exotique à Singapour pour y remédier. Si l’on veut vraiment responsabiliser le patient, nous connaissons un moyen bien plus simple: il passe par un retour au système qui prévalait avant la LAMal, donc par la suppression de l’obligation de s’assurer.

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