Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Impressions strasbourgeoises

Julien Le Fort
La Nation n° 1893 16 juillet 2010
L’Eglise et la faculté de théologie du Canton de Vaud traversent des temps difficiles, on le sait. Les institutions sont affaiblies. S’agissant de la faculté, on a eu connaissance, par les journaux, des conflits de personnes qui la divisent. Les facultés de Genève et Neuchâtel ne fanfaronnent pas non plus.

De plus, l’enseignement qui est donné dans ces facultés, à force de se vouloir à tout prix scientifique, s’est coupé des réalités de l’Eglise. Les chercheurs ne voudraient surtout pas qu’on les accuse d’avoir un parti pris pour l’Evangile!

Dans ces circonstances, celui qui souhaite étudier la théologie protestante peut être tenté d’aller voir ailleurs. Il peut chercher une faculté qui le confortera dans sa démarche de foi, Aix-en-Provence, par exemple. Il peut aussi s’inscrire dans une faculté «main stream», plus en lien avec le monde contemporain, mais néanmoins ferme sur sa mission.

C’est le choix que j’ai fait. Départ pour la capitale de l’Alsace, ses maisons à colombages, ses écluses, sa choucroute et sa réalité d’Eglise.

La loi française de 1905 sur la laïcité ne s’applique pas en Alsace, car cette dernière n’était pas française en 1905. Les rapports Eglise-Etat sont alors régis par un concordat napoléonien qui prévoit notamment que les pasteurs, curés et rabbins (un certain nombre en tout cas) sont payés par l’Etat. En outre, la faculté de théologie protestante – comme sa soeur catholique – est une faculté d’Etat, ce qui serait inconcevable en «France de l’intérieur». Pour moi, ce fut l’intérêt premier de cette faculté: parce qu’elle délivre des diplômes d’Etat, je pourrai faire reconnaître sans peine mon diplôme une fois de retour au pays.

Toutefois, a priori, le système académique français n’est pas très enthousiasmant. D’abord, les étudiants qui entrent à l’université sont peu sélectionnés, tant sont nombreux ceux qui obtiennent le bac. Ensuite, la forte centralisation française fait que les universités ont peu d’autonomie et doivent obtenir l’aval du «Ministère» pour tout et n’importe quoi. Finalement, les moyens financiers à disposition sont assez limités, la générosité étant réservée aux Hautes Ecoles. Qu’importe cette réalité difficile, la faculté de Strasbourg demeure attrayante. Parce qu’elle est une faculté ecclésiale.

La plupart des enseignants de cette faculté ont été ou sont pasteurs. Ils ont gardé une activité pastorale certes limitée mais ils demeurent fidèles à l’Eglise. Leur engagement à la faculté est un engagement d’Eglise, un ministère de docteur. Pour autant, ces enseignants se comportent comme de vrais universitaires; leur travail est marqué par le souci de la cohérence et de la rigueur intellectuelles. Mais les relations entre l’Eglise d’une part et la faculté d’autre part sont détendues et naturelles parce que les personnes se connaissent et oeuvrent ensemble. L’exemple le plus flagrant est celui du professeur André Birmelé: professeur de dogmatique, il est aussi vice-président de «Foi et Constitution» et engagé dans moult commissions de l’Eglise alsacienne. Assez régulièrement, il prêche en remplacement de collègues. Son enseignement académique est à la fois rigoureux et – osons le dire – porté par la foi. On pourrait en dire autant du professeur Elisabeth Parmentier.

Ces deux enseignants sont profondément luthériens. Et je crois percevoir ici une force du luthéranisme. Pour un luthérien, la foi est la clé de voûte de toute réflexion théologique: l’humain connaît Dieu par la foi. Dès lors, la réflexion philosophique spéculative sur Dieu – hors d’une démarche de foi – n’intéresse pas le luthérien (le luthérien n’est généralement pas thomiste). La connaissance de Dieu est alors limitée. Qu’importe! Luther avait déjà développé l’idée du «Deus absconditus», du Dieu caché: toute une partie de Dieu nous reste cachée. Mais ce que nous avons besoin de savoir sur Dieu, la lecture de la Bible dans la foi nous le donne. Le reste ne nous concerne pas. Ce qui compte, c’est que Dieu se donne pro nobis et nous sauve par Jésus-Christ.

Le contexte protestant français est particulier; les protestants sont très conscients de constituer une minorité et «se serrent les coudes». Cela explique en partie les liens harmonieux entre l’Eglise et la faculté de théologie protestantes. Cela dit, la théologie luthérienne, par son aspect confessant, a l’avantage de maintenir la foi comme élément indispensable de la réflexion théologique, y compris à l’université (laïque). Elle permet alors à la faculté de théologie de rester en lien étroit avec l’Eglise, au service de celle-ci, tout en assumant un travail proprement académique.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: