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Le Général Guisan et l’esprit de résistance

Jean-Baptiste Bless
La Nation n° 1893 16 juillet 2010
Si les basses insinuations des esprits destructeurs qui ont mal à leur histoire vous ont écoeuré et si vous estimez que, cinquante ans après la mort de notre dernier commandant en chef, il est temps de se souvenir, de comprendre et d’honorer, c’est Le Général Guisan et l’esprit de résistance1 que vous devez prendre cette année en vacances.

Dès les premiers mots de la préface, le ton est donné: «Un peuple ne peut pas vivre en oubliant son passé», affirme Jean-Jacques Rapin: «Continuer à croire qu’avec l’aide de la Providence, le Général Guisan a joué un rôle déterminant dans la préservation de notre indépendance, en rappelant les vertus de l’esprit de résistance, n’est donc pas une aberration. C’est une double preuve – de courage face aux idées du moment, de respect envers ceux qui nous ont précédés.»

Pourtant, ne vous attendez pas à un panégyrique du Général! Il ne s’agit pas même d’une biographie, bien plutôt de l’histoire d’une résistance replacée dans son contexte historique et son décor européen.

Le Général face à l’histoire

Guisan fait d’abord partie de «ceux qui ont dit non». Comparé à Mannerheim, Churchill ou Mac Arthur, il appartient à cette race d’hommes que les crises révèlent. Il est de ceux qui s’élèvent au milieu des paniques générales et savent réunir dans la confiance en leur personne une armée ou un peuple.

Guisan est aussi le général confédéré qui occupera ses fonctions le plus longtemps. Après Dufour, mandaté par la Diète pour dissoudre le Sonderbund en 1847; Herzog, chargé de défendre la frontière durant le conflit franco-allemand de 1870-1871; Wille, qui dirige l’armée suisse durant le premier conflit mondial; Guisan, lui, est nommé général le 2 septembre 1939 avec nonante pour cent des voix de l’Assemblée fédérale. Il dirigera l’armée suisse durant les six ans que durera la Deuxième Guerre et jusqu’à sa démission le 20 juin 1945.

Menaces extérieures

La Suisse a-t-elle été menacée? Fin mai 1940, pour la première fois de son histoire, la Confédération se trouve complètement encerclée d’ennemis potentiels à revendications conquérantes. Des archives retrouvées, il ressort clairement que les capacités de notre armée, que ce soit la qualité de l’armement ou le moral des troupes, ont à plusieurs reprises fait l’objet d’analyses détaillées par les services de renseignement du Reich. Il est également prouvé que des plans d’invasion ont été conçus, tant par les Allemands que par leurs alliés italiens, solidaires l’un de l’autre dans chaque campagne. Les plans allemands ont été élaborés après l’armistice de Compiègne par le capitaine Otto Wilhelm von Menges, le même qui avait préparé l’invasion de la France. Du côté italien, des instructions ont été données en mars 1940 déjà au corps d’armée XVI basé à Milan de «veiller particulièrement» au Simplon. De plus, pour la première fois également, notre pays a affaire à des voisins qui ne fonctionnent plus selon le droit des gens classique, mais qui usent de méthodes qui leur sont propres.

Il semble donc que la Suisse, sans avoir été au coeur des préoccupations du Reich, ait en tout cas fait l’objet de plans d’attaque, et même de projets concrets. L’intérêt stratégique d’occuper notre pays n’a cependant pas suffi pour que les troupes du Führer franchissent la frontière. Pourquoi?

L’armée suisse en 1939-1940

L’armée suisse a-t-elle effrayé le Führer? De toute évidence, non. Les effectifs sont certes proportionnellement importants pour un petit pays, mais l’équipement est dépassé et les armes antichar quasiment inexistantes. De plus, notre aviation, composée d’ailleurs d’appareils allemands, est faiblement soutenue par une DCA minimale. Les véhicules réquisitionnés sont hétéroclites et inaptes au combat. Autant dire que le Plateau est à la merci complète d’une attaque combinée avions-chars comme elle a eu lieu en Pologne, en Hollande, en Belgique et en France.

Dans son fameux Rapport d’après-guerre, le Général se montrera particulièrement incisif envers les cadres de l’armée: les officiers étaient «peu ou pas préparés à leur tâche pour une grande partie d’entre eux»2. Mais c’est pour la tête de l’armée qu’il aura les mots les plus durs: «Ce qu’il importe de fixer ici, c’est le degré de préparation stratégique; et, si pénible que cela soit, je dois à la vérité de dire que cette préparation offrait une grave lacune: nous n’avions pas de plans d’opérations préparés et mis au point. Nous n’en avions pas dix, nous n’en avions pas cinq. Nous n’en avions pas même un seul»3.

Les seules forces de l’armée, reconnues à l’époque par les analyses de nos voisins, sont: premièrement la valeur individuelle du troupier suisse, robuste et bon tireur, deuxièmement la qualité de notre «mousqueton 31»4 qui surclasse les armes comparables à tous les points de vue, et troisièmement le moral général de la troupe, farouchement déterminée à défendre son territoire. Rapidement, Guisan va ainsi se rendre compte que le seul moyen pour son armée de fantassins de faire face avec honneur est d’ancrer sa volonté de résistance dans un terrain qui lui est favorable.

La stratégie du Réduit

Guisan part donc du principe que son armée de fantassins ne peut pas affronter dans la plaine un ennemi supérieur en nombre et en puissance de feu. Les plans initiaux de défense sur la Limmat ont été rendus caducs par l’invasion de la France, car notre armée risque d’être prise à revers par le Jura. De plus, conforté par le succès des différentes résistances en montagne (Albanie, Grèce, Armée française des Alpes, etc.), Guisan estime que seuls des combats retardateurs ont leur justification sur le Plateau. Le gros des forces doit se replier dans le bastion des Alpes et lancer des expéditions de harcèlement en cas d’invasion. Pour simplifier, la stratégie du Réduit implique la répartition suivante des troupes: un quart défendra la frontière, un quart occupera des positions avancées sur le Plateau et la moitié restante combattra depuis le Réduit, où se trouve la quasi-totalité des armes lourdes. Cette concentration des forces «en hérisson» aura, outre sa valeur stratégique, un caractère dissuasif et une portée symbolique certaine au-dehors de nos frontières.

L’homme Guisan

Qui était Guisan, architecte de cette résistance? Une scène résume sans doute le personnage: c’est le Rapport du Grütli, le 25 juillet 1940. Un chef réunit ses cadres dans une prairie mythique, leur parle sans notes, leur donne la direction, les gonfle d’espoir et leur transmet sa volonté de résister. Guisan avait non seulement l’intelligence du visionnaire et l’autorité du chef, mais également un charisme et une chaleur humaine qui ont su toucher chaque soldat et chaque citoyen. Cette popularité immense est confirmée par mille anecdotes.

Lire Le Général Guisan et l’esprit de résistance, c’est accomplir un vrai devoir de mémoire, ou de piété filiale si l’on préfère. Alors qu’une fois de plus notre armée de milice est menacée par d’irresponsables amnésiques (passons sur la tautologie), l’ouvrage de Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit tombe à pic. L’histoire nous rappelle que, dans les périodes de crise aiguë, alors que tout semble perdu, des êtres hors du commun émergent, des figures de proue, des hommes qui transcendent et éclipsent la médiocrité politicienne pour prendre en main le destin des patries menacées.


NOTES:

1) Le Général Guisan et l’esprit de résistance par Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit, Editions Cabédita, 2010.

2) Rapport du Général Guisan à l’Assemblée fédérale sur le service actif 1939-1945 [Lausanne, 1946].

3) Idem, pp. 14-19.

4) Le «mousqueton 31» est le fusil d’ordonnance de l’époque et jusqu’à la fin des années 50.

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