Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Pour une éthique de l’initiative populaire

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1897 10 septembre 2010
L’initiative intitulée «Peine de mort en cas d’assassinat en concours avec un abus sexuel», lancée il y a quelques jours, retirée peu après, peut-être relancée demain, pose la question du bon usage de la démocratie directe. Elle la pose après beaucoup d’autres, car le droit d’initiative offre d’innombrables possibilités d’abus: l’initiative comme vitrine électorale (le parti socialiste annonçait récemment le lancement de quatre initiatives dans le but explicite de «se profiler» avant les élections); l’initiative réactive surfant sur une émotion populaire («l’internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables»); l’initiative morale (l’initiative antialcoolique «des jeunes templiers»); l’initiative symbolique, sans grand espoir de réussite et visant avant tout à «donner un signe clair» («Jeunesse sans drogue»); l’initiative transférant une compétence communale à la Confédération (l’initiative sur les crottes de chien); l’initiative à répétition (contre la surpopulation étrangère, pour la Venoge, contre l’armée). L’initiative sur la peine de mort semble avoir pour origine un malheur arrivé dans la famille de son auteur: si cela se vérifie, M. Graf aurait créé l’initiative thérapeutique. C’est aussi l’initiative comme instrument de chantage, puisqu’il menace de la relancer, au vu des échos recueillis dans la population1, si la Confédération ne prend pas des mesures pour accélérer les procédures pénales en matière de meurtre.

On assiste incontestablement à une dégradation de la pratique de la démocratie directe. Certains proposent d’y remédier en la cadrant plus étroitement.

Actuellement déjà, un comité d’initiative ne peut pas proposer n’importe quoi. Son texte doit respecter l’unité de forme et l’unité de matière. Il doit aussi se plier aux «normes impératives du droit international». Ces normes condamnent les guerres d’agression, les génocides, la torture et l’esclavage mais, pour l’heure, pas la peine de mort. Le risque qu’une initiative transgresse ces normes est mince, mais la liste n’est pas close et tend à s’allonger. Certains, dont le Conseil fédéral, jugent que la Convention de non-refoulement2 en fait partie.

Une initiative ne doit pas non plus contredire nos engagements internationaux. La formule est ambiguë. Certes, deux textes contradictoires ne peuvent pas figurer simultanément dans le droit suisse. Mais nos engagements internationaux n’existent pas forcément pour l’éternité. Il suffirait donc que les dispositions transitoires de l’initiative mentionnent explicitement qu’elle implique la dénonciation de tel engagement international. Le peuple et les cantons voteraient ainsi en connaissance de cause.

La question reste évidemment posée des traités qui, comme l’adhésion à l’ONU, ne sont en théorie pas dénonçables. Cela souligne, soit dit en passant, les risques que court un petit pays quand il signe ce genre de traité.

Peut-on aller plus loin? Certains sont d’avis que la Convention européenne des droits de l’homme devrait être intégrée au «droit international impératif». Cette convention étant susceptible d’interprétations plus ou moins étendues, on pourrait parfaitement imaginer que soient désormais réputées nulles toutes les initiatives portant atteinte à des avancées démocratiques considérées comme définitives (suppression du chef de famille, droit de vote des étrangers, séparation de l’Eglise et de l’Etat, solution des délais en matière d’avortement, statut d’objecteur de conscience, droit individuel à l’asile, ou, précisément, suppression de la peine de mort). De même pour les atteintes à la liberté de croyance ou de religion. Dans ce dernier cas, l’initiative sur les minarets n’aurait même pas pu être soumise au peuple.

Notons que la dégradation des moeurs politiques n’est pas moindre du côté de l’officialité: textes de lois délicats votés juste avant les vacances d’été (Cassis-de-Dijon); lois mammouths ne respectant ni l’unité de forme ni l’unité de matière (Espace éducatif suisse unifié); spéculation sur la peur de l’électeur (le monde officiel promettait 22% de chômage en Suisse en cas de refus du traité sur l’EEE); promesses non tenues (Armée XXI irréalisable faute de moyens). C’est dire qu’on ne devrait pas moins durcir le contrôle à l’égard du pouvoir fédéral…

Plutôt que de demander à des règlements plus sévères de remplacer les moeurs civiques défaillantes, ne devraiton pas commencer par poser la question d’une éthique des droits populaires? En d’autres termes, ne faudrait-il pas relier à nouveau l’usage de la démocratie directe à sa finalité, qui est une participation, sans intermédiaire, du peuple et des cantons au bien commun politique?

On nous objectera que ce type de considérations morales ne fait guère avancer la réflexion, tout initiateur étant intimement convaincu que son projet est indispensable au bien commun. Nous répondons que cette conviction, si sincère soit-elle, ne suffit pas et qu’il y a des conditions objectives au bien commun.

Pour commencer, une initiative doit respecter les principes généraux constitutifs du droit, en particulier celui de la non-rétroactivité: on ne peut pas punir quelqu’un à une peine non prévue par la loi au moment de l’acte. Cela va sans dire? Pas du tout! Pour en rester à l’initiative sur la peine de mort, celle-ci prévoit notamment que ses dispositions sont également appliquées «aux infractions commises avant leur entrée en vigueur dont le jugement n’est pas encore passé en force à cette date». C’est ainsi qu’on bafoue en passant, sans même s’en rendre compte, un principe fondamental de notre civilisation et une composante majeure du bien commun.

Idéalement, tout initiateur doit s’imposer de voir les choses du point de vue de l’Etat et, dans sa décision de lancer une initiative, tenir pour des éléments très secondaires les avantages électoraux ou autres que lui ou son parti pourrait en retirer.

Il doit aussi s’interdire de spéculer sur les passions, qu’il s’agisse de l’envie à l’égard des riches, de la haine à l’égard des immigrés ou de l’horreur à l’égard de certains types de délinquants. Une disposition constitutionnelle étant faite pour durer, l’émotion, toujours momentanée, est mauvaise conseillère. En revanche, même si le droit n’est pas un produit de la seule raison, celle-ci seule lui confère clarté, cohérence et stabilité.

Pour garantir l’unité du droit, reflet de la synthèse du bien commun, la nouveauté constitutionnelle ne doit pas simplement être juxtaposée au droit existant, mais réellement intégrée à lui. Cela demande de la part des initiateurs une connaissance minimale des grandes lignes de la Constitution suisse et des principes qui la structurent, mais aussi des mécanismes politiques et psychologiques mis en jeu par la démocratie directe.

Un intérêt peut bien être légitime, cela ne justifie pas n’importe quel texte. En particulier, une initiative doit éviter les dommages collatéraux. Les deux initiatives économiques3 lancées par M. Willy Cretegny, notre allié contre le Cassis-de-Dijon, posent de gros problèmes sur ce point. Elles contiennent des choses excellentes, mais elles sont tellement centralisatrices et étatistes qu’elles constituent à elles seules une délégation de pleins pouvoirs à la Confédération. Nous en reparlerons.

L’imagination, c’est-à-dire la capacité de prévoir les conséquences concrètes, financières et administratives d’une initiative, est une qualité indispensable. On se rappelle l’initiative populaire lancée par les radicaux-libéraux vaudois sur «l’école à journée continue». On se rappelle aussi que le parti socialiste lui avait chipé le texte et en avait fait une initiative constitutionnelle, acceptée par le Grand Conseil, puis par le peuple. Les initiateurs, tant de gauche que de droite, s’étaient gardés d’évoquer non seulement les coûts de la mise en oeuvre, mais les problèmes presque insolubles qu’elle pose aujourd’hui à beaucoup de petites communes.

Les dispositions proposées par une initiative doivent former un tout autosuffisant. Elles ne doivent pas déclencher des vagues de modifications ultérieures. On sait par exemple qu’une initiative fédérale visant à accorder aux étrangers le droit de vote sur le plan communal débouchera fatalement sur une extension de ce droit aux plans cantonal et fédéral.

Enfin, un recours trop fréquent à l’initiative est en soi mauvais. Cette remarque s’adresse principalement aux grands partis qui abusent du système. La démocratie directe est un moyen occasionnel pour le peuple et les cantons d’affirmer leur volonté face au pouvoir étatique, non un mode ordinaire de gouvernement. Son efficacité s’accroît de sa rareté.

En un mot, on ne s’improvise pas lanceur d’initiative. Le petit groupe, sûr de son bon droit, qui concocte dans son coin un texte répondant à ses préoccupations et lance triomphalement son initiative a toutes les chances de faire plus de mal que de bien, d’éloigner des partisans qui seraient d’accord sur le fond et de déconsidérer une idée peut-être judicieuse. Il nous est arrivé plusieurs fois, ces dernières années, de ne pouvoir soutenir des initiatives dont nous approuvions le fond.

Respecter ces quelques points de déontologie civique suffirait pour pallier la dégradation de la démocratie directe sans en réduire le champ d’application. Donner l’exemple d’une telle reprise en main devrait être le premier souci de nos parlementaires tant fédéraux que cantonaux.

 

NOTES:

1 Dans le sondage de 24 heures sur l’initiative, sur 1299 personnes, 45% étaient opposées, 2% sans avis et 52% favorables.

2 La Convention prévoit qu’un fugitif dont la demande d’asile a été refusée n’est pas renvoyé dans son pays s’il y court des risques sérieux pour son intégrité physique.

3 «Pour une politique de développement responsable» et «Pour une économie utile à tous».

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: