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Aristote à l’Académie

Denis RameletLa page littéraire
La Nation n° 1897 10 septembre 2010
Nous écrivions il y a quelques mois1: «Comme tous les événements philosophiques […] la publication au début de cette année d’une nouvelle traduction française de la Métaphysique d’Aristote par le professeur André de Muralt a passé inaperçue du grand public.»

Du grand public, assurément; mais pas des membres de la section Philosophie de l’Académie des sciences morales et politiques (une des quatre académies soeurs de l’Académie française au sein de l’Institut de France), qui ont décerné à la traduction d’André de Muralt2 le prix Victor Delbos (un des grands noms de la Sorbonne du début du XXe siècle), prix biennal destiné à récompenser «les oeuvres et publications propres à faire connaître dans le passé et à promouvoir dans l’avenir la vie spirituelle et la philosophie religieuse»3.

Promotion de la «vie spirituelle» et de la «philosophie religieuse»: étonnant à première vue pour une traduction d’un auteur païen. Est-ce à dire que le professeur de Muralt nous livrerait, malgré ses dénégations, une interprétation thomiste d’Aristote? Rappelons qu’il s’en défend expressément dans son introduction (p. 75): le fait que ses commentaires fassent volontiers appel à ceux de Thomas d’Aquin «ne doit pas porter à conclure que la présente traduction interprète Aristote “d’un point de vue thomiste”, […] mais bien plutôt que Thomas d’Aquin, ayant étonnamment bien compris le Stagirite, est sans doute, après lui, le plus grand des aristotéliciens, et que c’est en tant qu’aristotélicien qu’il est amené à témoigner pour permettre de mieux comprendre Aristote, ce qui est l’ambition même de cette traduction».

André de Muralt ne se livre pas à une «théologisation» abusive d’Aristote. Contrairement à une idée trop répandue, fondée hélas sur une lecture ignare de la magnifique fresque vaticane de Raphaël L’Ecole d’Athènes (Platon pointant son index vers le ciel et Aristote abaissant sa paume vers la terre), Aristote n’a rien d’un vulgaire matérialiste. Tout comme Platon, Aristote affirme l’existence de «formes» distinctes de la matière. Cependant, alors que Platon prétend que les formes sont séparées de la matière et résident dans un «ciel» idéal (le fameux «monde des Idées»), Aristote affirme au contraire que les formes sont unies à la matière (bien que distinctes d’icelle) dans notre monde réel. C’est cette opposition précise sur le «lieu de résidence» des formes que Raphaël a cherché à représenter, et non une prétendue négation de la transcendance par Aristote.

En effet, le livre Lambda (L) de la Métaphysique est entièrement consacré à la théologie philosophique ou rationnelle, plus communément appelée «théologie naturelle». Il s’agit d’une recherche rationnelle sur Dieu, qui se fonde non pas sur un texte révélé (d’origine surnaturelle) auquel on ne peut adhérer que par la foi, mais sur des faits expérimentés par tout un chacun, les païens comme les chrétiens. A partir de l’expérience courante, en particulier celle du mouvement, Aristote démontre l’existence d’une cause première, que les hommes appellent Dieu: le «premier mouvant non mû», qui est «substance en acte»4. Il démontre ensuite que «Dieu est vivant, éternel et parfait»5, qu’il a – ou plutôt est – une intelligence6 et même – André de Muralt l’explicite de manière convaincante7 – une volonté. Bref, le Dieu d’Aristote est bien un Dieu personnel8.

C’est ce très précieux travail d’explicitation de la pensée souvent elliptique d’Aristote qu’ont certainement voulu honorer les membres de la section Philosophie de l’Académie des sciences morales et politiques. Le prix Victor Delbos sera solennellement remis au professeur de Muralt le 15 novembre à Paris, sous la prestigieuse Coupole du quai Conti: il aura fallu vingt-trois siècles et demi pour qu’Aristote soit enfin reconnu par l’Académie…


NOTES:

1 Voir La Nation n° 1889 du 21 mai 2010.

2 Aristote, Les Métaphysiques – traduction analytique des livres G, Z, Q, I et L introduite, commentée et annotée par André de Muralt, Les Belles Lettres, Paris, 2010.

3 http://www.asmp.fr/prix_fondations/fiches_prix/victor_delbos.html

4 L 7, 1072 a 25 pp. 351-352.

5 L 7, 1072 b 28, p. 357.

6 L 9, 1074 b 34, p. 367.

7 pp. 371 ss.

8 Notons cependant qu’Aristote ne pouvait avoir aucune idée de la Trinité, qui ne trouve son fondement que dans la Révélation biblique et se situe donc totalement hors du champ de la théologie naturelle.

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