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La libéralisation du marché agricole n’est pas une fatalité

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1897 10 septembre 2010
Le bimensuel Horizons & débats a consacré plusieurs articles en juillet à la question agricole. Dans un article vigoureusement argumenté1, M. Hermann Dür, minotier (c’est-à-dire meunier, qui s’occupe de transformer les céréales en farine), dénonce la politique agricole de Mme Doris Leuthard, conseillère fédérale en charge de l’économie.

Il faut dire que la ministre poursuit la même politique de libéralisation qu’elle avait appliquée en introduisant en Suisse le principe dit du «Cassis-de-Dijon», principe qui affaiblit notre agriculture face aux importations de produits étrangers, et que la Ligue vaudoise avait combattu.

Un autre petit pas a été franchi dans cette direction. Ce printemps, le Conseil fédéral a démantelé massivement le système – pratiqué jusqu’ici – de réduction du prix des céréales destinées à l’exportation. Cela a mis en péril l’exportation des matières premières suisses. Puis, en juillet 2010, le Département fédéral de l’Economie (DFE) a encore baissé sans préavis les droits de douane sur les farines importées. Les producteurs suisses de céréales – et ceux qui s’occupent de les transformer – subiront encore davantage la concurrence de produits étrangers, alors que ceux-ci n’ont pas été soumis aux mêmes conditions de production qu’en Suisse.

Derrière les paroles creuses de la conseillère fédérale, M. Dür dénonce une volonté active de démanteler toutes les protections dont bénéficie le secteur agricole en Suisse. Cela pose évidemment un risque important pour notre sécurité alimentaire.

L’intention d’envoyer dans une course au libre-échange des secteurs déjà affaiblis, tels des sprinteurs aux os brisés, est grotesque et met en péril toute l’économie alimentaire. On commence par affaiblir les structures indigènes, puis on les ruine économiquement en autorisant les importations d’aliments de base bon marché (c’est moins le cas des spécialités) et l’on risque de nouvelles dépendances en matière de ressources rares. Comment un département peut-il alors prétendre que pour lui l’approvisionnement en matières premières est important?

Allant plus loin, le minotier cite les paroles de Mme Leuthard pour mieux en montrer l’inanité:

«Indépendamment de tous les scénarios de politique économique extérieure, la pression sur les prix et les importations ne cessera d’augmenter.»

C’est exactement le contraire qui est vrai. L’évolution des importations dépend même exclusivement de la politique économique extérieure. La Confédération ne peut pas échapper à sa part de responsabilité dans l’approvisionnement intérieur en produits alimentaires indigènes en rejetant cette responsabilité sur des pressions extérieures. Elle doit résister à ces pressions, même si elle n’y est pas parvenue ces derniers temps.

«L’ouverture des marchés est pour ainsi dire inéluctable à long terme.»

Cette affirmation, du moins sous cette forme, est manifestement idiote. La dernière baisse des droits de douane a montré que ce n’était pas une loi de la nature qui présidait à la nouvelle ordonnance, mais la conseillère fédérale elle-même. Elle aurait pu facilement s’y opposer, contrairement à ce qu’elle prétend. C’est donc notre propre gouvernement qui nous a placés à dessein sur la chaise électrique et non pas une force inéluctable.

On ne devrait pas s’occuper de politique si l’on croit que les choses sont inéluctables. Saluons nos confrères suisses-allemands qui n’ont pas peur de défendre un certain protectionnisme en matière d’agriculture, gage de sécurité alimentaire pour la Confédération. Le Conseil fédéral semble définitivement acquis à une libéralisation totale du marché agricole suisse. Les associations de défense des paysans devront se battre plus vigoureusement pour contraindre le gouvernement à tempérer son obsession libre-échangiste. C’est difficile mais possible, car la médiocrité des ministres n’est pas une fatalité.

 

NOTES:

1 Hermann Dür, «Politique agricole: comparaison entre les paroles et les actes», in Horizons et débats n° 29/30, 28 juillet 2010 (traduction Horizons et débats).

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