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En marge du PC

Daniel Laufer
La Nation n° 1907 28 janvier 2011
La lecture, passionnante, du PC du Général (dont Pierre Rochat a déjà rendu compte dans La Nation du 17 décembre dernier) ne permet pas seulement de suivre l’état-major particulier du Général de semaine en semaine pendant toute la guerre, dans des péripéties dont l’alerte plume de Bernard Barbey dresse, vivants, les portraits de tous les protagonistes; elle jette aussi une lumière particulière sur le problème de la liberté de la presse. On voit un Masson réclamer à grands cris et à réitérées fois que l’on mette une muselière à ces journalistes donneurs de leçons qui provoquent inutilement les colères du Führer («… mais cette attitude de roquet, c’est indigne.»), répondant ainsi à un Barbey qui observait placidement: «Si la Wehrmacht a intérêt à nous attaquer, ce n’est pas à cause de notre opinion publique qu’elle le fera.»

Le thème de la liberté de la presse revient ainsi à plusieurs reprises sous la plume du major, devenu le lieutenant-colonel Barbey, et l’on sent bien qu’il y a un accord, tacite semble-t-il, avec le Général pour considérer que les vitupérations peut-être excessives de la presse doivent être considérées pour ce qu’elles sont: des mots, rien d’autre que des mots… qui ne mettent pas en cause notre neutralité. Ces aboiements ne sauraient être tout au plus qu’un prétexte à provoquer l’envahissement du territoire par les troupes allemandes. Et Bernard Barbey, lui-même écrivain, exprime quant à lui l’avis qu’une mise au pas des journalistes n’a pas lieu d’être.

Mais il en va tout autrement sur le plan interne, je veux dire: dans la critique et la caricature politiques des hommes qui sont aux commandes, sur le plan civil et sur le plan militaire. Ce n’est pas tant que l’on juge ces messieurs (et maintenant ces dames) vulnérables – il s’en faut de beaucoup –, c’est qu’en temps de guerre la notion même de l’autorité, de l’unité du commandement, pour ne pas parler de la notion d’honneur, ne doit pas être mise en cause. L’institution du commandement suprême a pour corollaire, en temps de guerre, un respect absolu, et de la fonction, et de l’homme qui l’incarne. Le contraire pourrait être vite dénoncé comme une forme de trahison.

Nous sommes depuis longtemps en temps de paix. On peut tout dire, on peut faire des caricatures, souvent excellentes d’ailleurs, non seulement de Blocher ou de Mme Calmy-Rey, mais de n’importe quel Broulis ou autres Maillard, et on ne s’en prive pas. La Nation elle-même sait donner des leçons quand il en faut, et participe ainsi à ce qu’il est convenu d’appeler le débat démocratique. Néanmoins, il faut se souvenir que Mme de Staël a été exilée parce que Napoléon ne supportait pas qu’elle dise du bien de l’Allemagne, et l’on ne compte plus les écrivains et non seulement les journalistes qui ont payé cher, parfois de leur vie, d’avoir déplu au pouvoir. Aujourd’hui les droits de l’homme sont vainqueurs.

Vainqueurs de quoi? De l’oppression policière? De conventions morales? Du pouvoir des grands de ce monde? De tout cela à la fois, et dit en un mot: les droits de l’homme sont vainqueurs de l’ordre. Le désordre ne tire pas à conséquence quand la patrie n’est pas menacée; il est d’ailleurs évident, sur un autre plan, que l’économie a tout à gagner à maintenir les libertés des initiatives privées et que le grand désordre économique est diablement productif. Mais quant à l’ordre public, on assiste en notre régime de liberté aux guéguerres entre partis, au dénigrement de tels hommes d’Etat, à une perpétuelle foire d’empoigne entre la gauche et la droite… où le bien commun du pays ne trouve pas toujours son compte. On se prend à rêver d’une république dont le gouvernement serait réputé inattaquable, non pas en vertu de la loi, mais bien parce que les citoyens se trouveraient bien de l’ordre que crée une véritable autorité. Hélas, la démocratie parlementaire n’est qu’une démocratie de partis, l’essence du désordre public.

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