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Maurice Dantec, écrivain d'aujourd'hui et de demain

Lars Klawonn
La Nation n° 1907 28 janvier 2011
J’ai instinctivement haï
la révolution française.

Maurice G. Dantec a grandi dans une famille communiste française. A l’âge de 12 ans, antinazisme de gauche oblige, il visite un camp de concentration à Terezin, en Tchécoslovaquie. Au lieu de lire sagement son Marx et son Sartre et d’en faire sa religion, l’adolescent se passionne pour «la littérature expérimentale de science fiction, de Burroughs, Ballard, Dick, Delany et de quelques autres». Plus tard, «par le biais de croisements improbables», Nietzsche, une histoire de l’humanité, quelques livres d’anthropologie, quelques ouvrages du théologien israélien Scholem sur la mystique juive et la Bible, entre autres choses, le conduisent à comprendre, stupéfait, qu’il est, sans même le vouloir, «un monothéiste qui croyait à la présence ineffable de la Parole»1. Musicien de rock et rédacteur publicitaire avant de se mettre à l’écriture sur le tard et d’en faire son métier à plein temps, il se nourrit aussi de Deleuze, de Dostoïevski, de Lautréamont, de Philipp Muray et surtout de Léon Bloy dont il préface une réédition du Désespéré en 2005.

Estimant que sa famille n’est plus en sécurité dans une France de plus en plus liberticide, Dantec et sa famille émigrent à Montréal où ils vivent depuis 1998. De cet «exil», il parle dans le premier de quatre tomes du Théâtre des opérations, Journal métaphysique et polémique.

«Andreas Schaltzmann s’est mis à tuer parce que son estomac pourrissait.» C’est le début des Racines du mal, le deuxième roman de Dantec, paru en 1995. Schaltzmann est le dernier homme. C’est un tueur malade. Personnalité divisée, schizophrénie aiguë à l’évolution instable, imprévisible. Schaltzmann ne se souvient pas de ses assassinats sauvages. Le tueur, c’est l’autre en lui. Dr. Jekyll et Mr. hyde. Rien de plus classique. Mais Schaltzmann est très vite dépassé par d’autres tueurs d’une espèce différente. Ces tueurs se servent de lui pour couvrir leurs propres tueries. Et là, on change de catégorie, de dimension, de galaxie. Ce ne sont pas des malades, ils sont intelligents, ils sont riches, ils sont inhumains. Ils tuent avec perfection juste pour s’amuser. Ils se baladent dans la nature pour tuer. Ils forment un cercle d’assassins qui se réunissent sur le net où ils échangent leurs expériences. Pour eux, tuer est de l’ordre du loisir.

Sous la plume de Dantec, le tueur en série se mue en figure emblématique de notre époque. Non pas son exception bestiale, mais la représentation parfaite de son nihilisme foncier selon lequel tout est permis. Le nihilisme érige le mal en mode de vie occidental, fait que la provocation, la violence, le crime sont considérés et admirés comme des marques de courage. Cette vision atteint sa plénitude dans Villa vortex, oeuvre majeure de son auteur.

Dantec a débuté dans la Série Noire de Gallimard2, littérature populaire de genre au sens le plus positif du terme. Pourquoi lire Dantec? Tout d’abord parce qu’il a son style propre, parfois un peu trash, mais efficace, car adapté à l’univers déliquescent et high-tech de ses romans; ensuite parce que Dantec est un type délirant, illuminé. Il possède le génie de construire et de raconter une histoire avec brio et virtuosité. Il nous offre des romans totaux généreux, jouissifs, entremêlés de réflexions et de philosophie, des romans qui débordent, et de loin, le cadre étroit du polar noir et s’avèrent l’oeuvre d’un auteur visionnaire et politique.

L’écrivain maîtrise à merveille le mélange des genres. Babylon Babies, par exemple, ce roman d’anticipation écrit en 1999, ouvre sur le récit d’une future guerre civile chinoise, bascule ensuite dans un récit de trafics illicites mafieux pour atteindre son point culminant dans un récit aux traits fantastiques et mystiques, une espèce de fable moderne. Nous sommes en 2013. Un soldat mercenaire accepte une mission qu’il est censé mener à bout. De prime abord, cette mission semble facile à accomplir. Mais très vite, tout dérape, tout devient incontrôlable. On est face à un enchevêtrement de plusieurs causalités distinctes, un véritable engrenage fatal d’événements, qui, à un moment donné, aboutit à son point d’impact final, se heurte et s’entrechoque dans une fusillade d’anthologie.

Avec ce roman, Dantec nous plonge dans un monde technologique peuplé de machines intelligentes, hautement performantes, des robots d’une intelligence humaine, comme Joe-Jane, le personnage central, robot vivant, «cerveau bionique» doté d’une conscience et capable de produire des émotions complexes. D’autres robots permettent de «vivre et revivre» des perversions humaines, fétichisme, voyeurisme, sado-masochisme, homosexualité. Des gadgets ultramodernes, réseaux de microfibres connectés à même le corps et reliés à des logiciels et processeurs ultra-performants sont conçus uniquement pour procurer l’excitation ultime, le tout dans un monde qui ressemble fortement au nôtre. Beaucoup de choses dont on parle aujourd’hui sont devenues des réalités quotidiennes: le métissage, les catastrophes climatiques, les animaux transgéniques, l’omniprésence des drogues, le pouvoir illimité des organisations criminelles et des sectes, les guerres civiles, etc.

Les romans de Dantec se situent dans le futur et se retournent vers un passé qui est notre présent. Cela fonctionne comme un miroir grossissant. Sous le couvert du polar, Dantec établit une véritable cartographie des mutations en cours dans nos sociétés modernes. Ce procédé par ailleurs hautement polémique permet à l’auteur de pousser le nihilisme athée jusqu’à ses ultimes conséquences.

Malgré l’ambiance sombre, violente et apocalyptique de ses romans, on est loin de la vision cynique de certains écrivains contemporains. Au contraire, la littérature de Dantec comporte une charge spirituelle et métaphysique significative; elle est pratiquée ici d’une manière plénière. Quelque chose s’introduit de luimême dans cet univers mécanisé et déshumanisé en allant au coeur même des humanoïdes les plus parfaits. La compassion, l’amour, «ce déluge de pure émotion humaine» surgit du sein même de l’ordre et du chaos de ce monde prédateur et éclaté.


NOTES:

1 Les citations sont issues d’une interview que Dantec a donnée au Jérusalem Post édition française en 2005, répertoriée sur www.surlering.com.

2 Métacortex, le dernier roman en date de Maurice G. Dantec a paru en février 2010 chez Albin Michel. Pour plus d’informations, voir le site officiel de Dantec: www.mauricedantec.com

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