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Les hormones de la responsabilité

Jacques Perrin
La Nation n° 1934 10 février 2012

Dans son numéro du 3 janvier, Migros Magazine présente en couverture la psychologue française Isabelle Filliozat: fille d’un psychiatre et d’une psychologue, elle a de longs cheveux grisonnants, le sourire triomphant de la baba cool qui a réussi, un collier à grosses billes de bois, de petites lunettes à la mode. C’est l’occasion d’exprimer notre perplexité sur l’actuel branlebas psychiatrique.

Mme Filliozat prétend ne pas donner de conseils. Elle se veut «objective», se fondant sur les «neurosciences» et l’«imagerie médicale». Cette posture «scientifique» ne l’empêche pas de dire aux parents ce qu’il ne faut jamais faire. Ce sont eux qu’elle veut éduquer avant qu’ils ne se mettent en tête d’élever leurs enfants d’une manière trop traditionnelle.

Selon Mme Filliozat, l’enfant n’a pas besoin d’autorité (qu’elle confond comme tout le monde avec le pouvoir). Au sein de la famille, il ne faut ni crier, ni punir, c’est inefficace; les relations de pouvoir sont mauvaises par essence; l’attachement, l’amour et le plaisir sont bons. Donner des injonctions négatives (Ne fais pas…) est «très dangereux», élever les enfants dans la peur du gendarme nuit à leur moralité.

Mme Filliozat affirme avoir bénéficié de cette éducation antiautoritaire qu’elle a inculquée à ses propres enfants. Tout va bien, ils «respectent les lois et l’éthique».

Les préceptes rousseauistes de Mme Filliozat n’ont rien de nouveau. Ils ne retiendraient pas notre attention si la psychologue n’invoquait à leur appui des arguments physiologiques.

D’une part, l’enfant est comme une plante verte qui réagit à son environnement.

Son cerveau fonctionne d’une manière donnée. L’éducation consiste à s’adapter à ce fonctionnement. Il ne faut donner aucun ordre à un enfant mais des choix, afin de «brancher son cerveau frontal» qui lui permet de faire des déductions, de comprendre et d’accepter ce qu’on aimerait qu’il fasse. Remarquons que l’éducateur baba, bien que le mot «obéir» lui répugne, souhaite que l’enfant fasse quelque chose de précis et non pas n’importe quoi. Afin de se conformer aux phénomènes cérébraux, l’éducation ne peut être qu’antiautoritaire, joli paradoxe!

D’autre part, Mme Filliozat avance que le but de l’éducation est de produire «une société où les gens sont responsables». «Est responsable, nous dit le Robert, celui qui est l’auteur, la cause volontaire et consciente de quelque chose, celui qui rend compte de ses actes.» Peuton revendiquer ses actes s’ils sont conditionnés par des «ondes alpha calmantes», influencés par les taux de «dopamine», de «peptides opioïdes», d’«ocytocines», d’«hormones du plaisir et de l’amour»? A quoi bon éduquer à la responsabilité, donc à la liberté, s’il suffit de doser les hormones pour que tout aille bien? Des injections feront l’affaire…

Mme Filliozat dit aussi: «S’il (l’enfant, réd.) fait quelque chose qui ne va pas, c’est en réaction à un contexte et non pas une impulsion qui viendrait seulement de l’intérieur de lui-même.» C’est peut-être vrai, mais qui détermine ce qui va et ce qui ne va pas? Qui décrète les règles morales? Comment? En vertu de l’examen des circonvolutions du cerveau et du taux hormonal? Ensuite, le journaliste de Migros Magazine s’étonne que «la violence chez les jeunes ne cesse d’augmenter malgré une éducation de plus en plus compréhensive».

Mme Filliozat incrimine alors la société: les parents travaillent trop, il y a du stress, du bruit, trop de stimulations visuelles, trop de sucre et d’additifs alimentaires qui augmentent la violence «comme l’a montré une étude parue dans la revue médicale The Lancet».

Elle ajoute: «Nous vivons dans un monde d’une violence terrifiante où les banques ont le pouvoir sur les humains.» Bref, l’éducation compréhensive est excellente, mais l’environnement est détestable. Du déterminisme biologique, on passe à l’oppression sociale. Mme Filliozat veut «former des gens responsables», mais il semble que l’individu ne soit jamais responsable de rien.

Bien que la psychologue soit opposée à la fessée, certains parents lui en administreraient volontiers une, car ses théories ne peuvent que les désorienter, voire les culpabiliser: ils méconnaissent les neurosciences! Il est curieux que Mme Filliozat veuille éduquer les parents. Ne sont-ils pas aussi tributaires de leur chimie cérébrale et victimes des banques… ou du sucre? Elle a beau, en vertu de son expérience, détenir certains «trucs» pédagogiques, ses réflexions ne tiennent pas la route. Les neurosciences sont sans doute riches de connaissances nouvelles, elles ne nous disent rien sur la façon d’éduquer les enfants.

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