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Notre martyre embourgeoisé

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1944 29 juin 2012

«Les Eglises historiques continuent de fonctionner sur des schémas culturels surannés. Elles n’ont pas intégré les importantes mutations sociétales des années 1960. C’est là une des raisons principales de la crise qu’elles traversent.

Pour renouer avec un public qui s’éloigne, il faut fonder un nouveau modèle. Mais contrairement aux habitudes, il doit se développer sur un mode participatif, horizontal.» Telles sont les premières lignes imprimées en quatrième de couverture de Le temps presse! Réflexions pour sortir les Eglises de la crise, ouvrage dû au pasteur Virgile Rochat1.

Autant dire que, lorsque nous avons annoncé vouloir rédiger une critique dudit ouvrage, nos amis se sont logiquement attendu à ce que nous fassions un article bien méchant, prétexte aux plaisanteries les plus rosses. Autant dire, pour tâcher d’être honnête, que nous avons craint un moment d’être soumis à une tentation très grande. Il nous est apparu fort imprudent d’avoir promis le présent article au pasteur Rochat, et à La Nation, avant même d’avoir acheté Le temps presse! Nous apprécions en effet le pasteur Rochat, que nous avons souvent rencontré lorsqu’il était aumônier de l’Université de Lausanne et de l’EPFL. Pour autant, nous n’apprécions guère l’idée d’intégrer dans notre Eglise «les mutations sociétales des années 1960» et nous nous méfions comme de la peste du «mode participatif, horizontal». Nous sommes cependant soulagé de pouvoir décevoir nos amis.

Quoi qu’il en soit, Le temps presse! est si abondamment rempli d’affirmations surprenantes – de par leur fond ou de par leur forme – que cet ouvrage en devient impossible à résumer. Nous avons donc sélectionné ce qui nous a le plus marqué – sans pouvoir même tout dire de cela – et laissé résolument de côté nombre de propositions négligeables: l’aménagement des horaires du culte, l’installation de moquette dans les chapelles, le millième retour de la guitare, j’en passe et des meilleures, ne nous troublent plus trop, parce que ce sont des propositions déjà faites maintes fois… et qu’on s’habitue même à ça. Des propositions telles que l’aménagement de temps de silence et même de méditation, ou le soin apporté à la liturgie nous semblent au contraire justifier à elles seules la lecture de Le temps presse!

Une mégacrise d’identité

Le pasteur Rochat commence par diagnostiquer la crise que traversent les Eglises traditionnelles – telles que l’Eglise évangélique réformée vaudoise.

Habituées à tenir le haut du pavé et à régenter tous les compartiments de la vie de «fidèles» captifs, ces Eglises se seraient laissé surprendre par les fameuses «mutations sociétales des années 1960». «Tout un système, solide, rodé, se retrouve isolé parce que ce à quoi il servait en vérité ne sert plus.

Son utilité politique et sociale, valable pour un type de société, disparaît avec cette dernière» (p. 56). Il en résulte une «mégacrise d’identité». «Il va s’agir maintenant d’établir une relation [avec la population] où chacun puisse prendre la parole, s’exprimer et exprimer ses positions, ses craintes et ses attentes.

[…] Il s’agit de se situer dans la rupture, au sein de la rupture [d’une société déstabilisée et en perpétuelle mutation]. Dans un dialogue qui permet d’être en relation de construire ensemble, dans le provisoire» (pp. 66 et 67). Les Eglises traditionnelles doivent en outre prendre acte de ce qu’elles sont passées d’une position de monopole à une position de «concurrence» avec d’autres Eglises (et même d’autres religions) (pp. 71 et 72).

 

Besoins et attentes de la société

Après l’Eglise, la société. Le pasteur Rochat dresse la liste de nos principaux besoins et attentes, en mettant toujours ces besoins en regard des caractéristiques de notre société: «Une société matérialiste: des besoins spirituels»; «Une société rationnelle: un besoin de mystère»; «Une société de libertés: besoin de lien social»; «Une société plurielle: de l’unité»; «Une société anomique: du sens»; «Une société “hors-sol”: de l’enracinement»; «Une société de bruit: du silence»; «Une société de mobilité: des pauses»; «Une société dévorante: de la sobriété»; «Une société aliénante: de la conscience»; «Une société hyperexigeante: un besoin renouvelé de confiance en soi» (pp. 76 et 82).

La kénose – descendre de son piédestal

«Les changements [sociaux ou, si on y tient vraiment, sociétaux] actuels demandent des mutations d’accent théologique et des ouvertures. […] Le ton général, l’arrière-fond à tout ce qui est proposé, est contenu dans un mot biblique: kenosis, la kénose. […] par amour des humains et de sa création, le Christ ne s’est pas prévalu de [sa] condition exceptionnelle [divine], il a accepté de s’en défaire, de s’en dépouiller, de se désapproprier, de lâcher (kénose) pour devenir semblable aux humains, pour devenir serviteur et faire don de sa vie. […] C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom… (Philippiens 2) […] Il y a ici un fondement théologique à la proposition […] d’“être avec” [dans la rupture]. A la suite du Christ et à son image, quitter un certain nombre de privilèges acquis, lâcher une condition qui a été non pas divine, mais en tout cas prestigieuse, pour s’approcher des gens, de la multitude. […]» (pp. 84 à 86).

La pression du temps

La conclusion – une parmi d’autres – qui donne son titre au livre commence de la sorte: «L’âge moyen des pratiquants et sympathisants des Eglises historiques est élevé. Plus d’un ecclésiastique est en difficulté, en proie au découragement, au doute. Dans les groupes de travail, on cherche souvent en vain à trouver des personnes plus jeunes pour remplacer les anciens…» (pp. 159 et 160). Ce à quoi nous répondons que ce qui existe et ce qui se fait maintenant, dans beaucoup de paroisses, est encore considérable. Qu’on songe seulement que, chaque dimanche, des réformés vaudois communient au corps et au sang du Christ. Qu’on songe encore aux centaines d’enfants catéchisés chaque année, aux mariages bénis, aux baptêmes célébrés, etc. Il y a donc une sorte de perversion à regarder le présent comme s’il n’existait plus que dans les mémoires ou comme si le futur craint existait plus que lui.

Le pasteur Rochat n’en continue pas moins: «En projetant quelques paramètres et sans renouveau sérieux, l’espérance de vie des Eglises historiques dans leur forme actuelle tourne autour de dix, quinze ans au mieux» (p. 160). N’en déplaise au pasteur Rochat, une telle projection de paramètres n’offre pas plus de garantie que des prévisions météorologiques à une semaine – cette réserve ne devant pas nous dispenser d’agir pour le bien de l’Eglise, ce à quoi l’ouvrage nous exhorte à juste titre.

Notre conclusion

Dans la logique de la kénose évoquée, le pasteur Rochat propose de limiter les affirmations dogmatiques sclérosantes et de simplifier une liturgie par trop intellectuelle. (Pour ce dernier point, il cite l’exemple de Taizé, sans le donner pour un modèle à imposer partout.) Il n’oublie cependant pas que «comme toute réalité humaine, les besoins et les attentes sont équivoques.

Il faut les interroger et les épurer. Individuels, ils peuvent être autocentrés, à courte vue, voire franchement égoïstes» (p. 74). Au-delà des différences évoquées au début de l’article – au-delà, notamment, des réticences suscitées par cette fameuse quatrième de couverture –, nous rejoignons l’auteur sur ce point. Il nous apparaît cependant nécessaire de distinguer entre attentes et besoins – comme il le fait lorsqu’il distingue ce que la société réclame et ce dont l’homme a véritablement soif.

Une telle distinction permet à notre avis de concilier l’ouverture de coeur et la fermeté doctrinale – c’est-à-dire l’ouverture à chacun de nos prochains, avec ses besoins, et la fidélité à l’écriture et au dogme2, indifféremment de ce qui peut faire simplement envie aux uns et aux autres. Telle attitude constitue un multitudinisme du meilleur aloi – ce que le pasteur Rochat appelle de ses voeux en des termes peut-être plus nuancés. En effet, comme cela a déjà été écrit dans ces colonnes, «garder la porte ouverte n’implique pas d’abattre les murs! Comment accueillir largement et sans exception de personne ceux qui se tiennent au seuil de l’Eglise, au seuil de la foi, s’il n’y a plus de porte?3» Bien entendu, la fidélité à l’Evangile ne nous dispense pas d’agir pour le bien de l’Eglise. Mais cette fidélité et la meilleure volonté du monde ne résoudront pas tous les problèmes mondains de l’Eglise universelle – ni ceux de l’Eglise évangélique réformée vaudoise.

Bien au contraire, Christ a averti ses disciples que la fidélité promet de souffrir mille difficultés terrestres – voire mille morts tout aussi terrestres. Cela explique que des pasteurs fidèles puissent souffrir profondément de leurs difficultés quotidiennes. Ce faisant, ils réalisent une très imparfaite imitation de Christ, qui – dans la kénose largement évoquée – a accepté Son martyre de toute éternité et en chacun des instants de Son existence terrestre. L’Eglise doit donc accepter que, dans le monde, elle ne sera jamais du monde.

Plus prosaïquement, l’Eglise évangélique réformée vaudoise et ses fidèles doivent accepter leur inconfort et leurs craintes. Ils nous sont une manière de martyre très embourgeoisé – c’est-àdire une souffrance sans gloire ni sang.

Notes:

1 Editions Labor et Fides, 2012.

2 Dogme qui, en régime protestant, peut épouser les formules ramassées du symbole des Apôtres ou du symbole de Nicée.

3 Olivier Klunge, «Une Eglise multitudiniste», La Nation Numéro 1906 – 14 janvier 2011.

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