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Médecine et clause du besoin

Jean-François Luthi
La Nation n° 1954 16 novembre 2012

Le Conseil fédéral remet l’ouvrage sur le métier. Il vient de décider de réintroduire, après les années 2002 à 2011, la clause du besoin pour une période de trois ans pour les spécialistes, donc un moratoire sur l’ouverture de nouveaux cabinets. Les chambres auront à se prononcer sur le projet de loi, qui entrera en vigueur au plus tard le 1er avril 2013. Le conseil fédéral a déjà prévu d’autres mesures pour agir sur (contre?) la médecine ambulatoire: tarifs réévalués, répartition des médecins sur le territoire, nouvelle version des relations entre praticiens. De leur côté, les assureurs en profitent pour redire combien la suppression de l’obligation de contracter (donc la liberté pour les assureurs de choisir les médecins dont ils voudront bien rembourser les actes) résoudrait à leurs yeux l’essentiel des problèmes.

Comment en est-on arrivé là?

La confédération a signé des accords de libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE). Dans le domaine de la santé, même s’ils sont nombreux à suivre des stages à l’étranger, très rares sont les médecins suisses à s’y installer; les médecins formés à l’étranger, poussés par de meilleures rémunérations en Suisse, se poussent par contre au portillon pour venir travailler dans notre pays. Leur proportion dans les hôpitaux suisses passe de 20 à 88% des effectifs selon les spécialisations. or, l’évolution naturelle et la plus fréquente de l’activité hospitalière des médecins est l’ouverture, tôt ou tard, d’un cabinet privé. La fin du moratoire sur l’ouverture des cabinets médicaux, en 2011, a eu deux effets principaux: tout d’abord un effet tampon qui a mis sur le marché des médecins étrangers formés pendant plusieurs années en Suisse, ainsi que des médecins suisses ayant fini leur formation et désirant s’installer. D’autre part, pendant ces années de moratoire, les médecins en hôpitaux, suisses ou étrangers, ont continué de travailler dans des services spécialisés. Ils ont ainsi fini par acquérir toutes les conditions d’accès à la spécialité, demandant dès lors leur droit de pratique pour ouvrir un cabinet privé dès la levée du moratoire. cette situation a quelque peu décapité la médecine générale, en favorisant au sein des hôpitaux la filière de spécialiste.

D’autre part, les médecins immigrants et entièrement formés à l’étranger ont soumis leur dossier à la commission fédérale chargée de la reconnaissance des diplômes (comité de la formation postgrade pour les professions médicales, à Berne), et celle-ci semble, car elle subit des critiques, être très souple dans l’accord des équivalences de formation donnant le droit d’exercer en Suisse. en effet, elle n’est la plupart du temps pas à même de vérifier le contenu véritable de ces formations, qui sont parfois très différentes des nôtres. A titre d’illustration, signalons la situation des généralistes français qui suivent une formation hospitalière post-graduée de deux ans avant d’être obligés de s’installer. En Suisse, l’écrasante majorité des généralistes et internistes sans sous-spécialité ont un minimum de cinq ans de formation. cela crée une différence de qualité tout à fait significative qui a des conséquences en matière de soins. Actuellement, il semble que 42% des médecins en pratique privée soient titulaires d’un diplôme étranger, la Suisse alémanique souffrant d’une «invasion» de médecins allemands. L’afflux de médecins formés à l’étranger pose non seulement des problèmes de qualité des soins, mais aussi de communication: un psychiatre parlant mal la langue de la région où il exerce, cela pose de grands problèmes; pourtant les médecins immigrés dans cette spécialité sont majoritaires dans nos hôpitaux.

Quelles solutions?

La libre-circulation se traduit dans les faits par un flux unilatéral du personnel médical vers la Suisse. La confédération semble même prendre un malin plaisir à évoquer le coût de formation élevé d’un médecin suisse, semblant leur préférer ceux qui ont été formés dans l’UE. Le fantasme de la concurrence, réalité des domaines industriel et commercial, a toutefois des effets délétères dans un système de soins où la personne malade doit être au centre de l’attention. Après la levée du moratoire sur les ouvertures de cabinets, certains se sont aperçus que tous ces nouveaux médecins allaient, suisses ou non, coûter à l’assurance-maladie. certes, l’activité ambulatoire représente moins d’un tiers des coûts de la santé mais, à quelques centaines de milliers de francs par cabinet et par année, l’addition prévisible et surtout l’absence de frein possible à cet afflux de demandes a fait peur. Il aurait été bien plus avisé de penser à protéger ses propres ressortissants exerçant l’art médical. on n’a toutefois vu aucun politicien se lever pour demander de limiter, sous une forme ou une autre, l’accès des médecins étrangers en Suisse. La signature de traités internationaux semble les paralyser.

La clause du besoin est efficace dans un premier temps, mais elle a des effets pervers et ne limite que temporairement le nombre de médecins s’installant en activité privée. S’il s’agit vraiment de limiter ce nombre, il convient de le faire très tôt dans le cursus médical. ceci semble plus éthique – et plus économique – que d’appliquer ce qui n’est rien d’autre qu’un numerus clausus après dix à quinze ans de formation médicale! Que va devenir un médecin spécialiste en fin de contrat hospitalier et soumis à la clause du besoin? Il a de quoi être désespéré.

Confédération ou cantons?

La Confédération souhaite intervenir sur le nombre et la répartition des médecins. Cet interventionnisme aurait raison de ce qui reste de cette profession libérale. Le lobby puissant des assureurs, l’office fédéral et certains parlementaires abordent l’affaire sous un angle uniquement économique, et l’on peut être certain que le résultat sera en porte-à-faux avec les besoins réels de la population. on en reviendra très vite aux idées de réseaux de soins, de co-responsabilité budgétaire, de suppression de l’obligation de contracter ou, pire, de caisse unique, sans parler des formes de contrôles administratifs telles que l’imposition des DRG (forfaits par cas), déjà introduits dans les hôpitaux, au secteur ambulatoire. cerise sur le gâteau, on finira par imposer leur lieu de travail aux médecins, désormais salariés! on aura rejoint le système britannique, dont on connaît la qualité fort médiocre, relevée toutefois – médecine à deux vitesses – par la présence de réseaux privés, en particulier dans les cliniques.

Les médecins, sensibles à la nouvelle donne relative à l’afflux de médecins immigrés, ne sont pas totalement opposés de fait à des mesures visant à agir sur la démographie médicale.

La FMH et la conférence des directeurs sanitaires cantonaux () avait, dès 2006, proposé que les cantons gèrent, en cas de besoin démontré, la démographie médicale par discipline et par région. Il était prévu que cela se fasse soit par des moyens incitatifs liés à l’installation, soit sur l’obtention du droit de pratiquer (clause du besoin cantonale). Proposition rejetée par le Parlement, tout comme, en 2009, celle de la mise en place d’un système paritaire de régulation composé d’une part des autorités sanitaires cantonales, et d’autre part des sociétés médicales. M. Berset ne s’est en tout cas pour l’instant pas engagé en faveur des cantons dans cette affaire.

Une proposition, qui pourrait rallier la majorité, stipule qu’un médecin formé à l’étranger ne puisse s’installer sans avoir travaillé au moins trois ans dans des hôpitaux suisses. cette équivalence minimale permettrait d’éviter les remous politiques que ne saurait manquer de créer une limitation de l’immigration médicale vers une Suisse trop attractive.

Le principe d’une régulation est délicat, s’agissant d’une profession libérale. on voit mal les avocats subir ce genre de pression, mais il est vrai que les assureurs paient rarement les frais d’avocats! Il semble préférable que le problème soit géré par les cantons, plus au fait des besoins sur leurs territoires, que de laisser la confédération réglementer.  Cependant, une telle action doit être clairement balisée. et plutôt que de laisser un conseiller d’Etat, socialiste de surcroît, planifier la dotation médicale dans son canton, il apparaît indispensable d’associer les sociétés cantonales de médecine aux services de l’Etat dans cette démarche. La participation des assureurs n’est pas souhaitable: il est opportun de rappeler ici que la loi leur accorde le rôle de contrôler l’adéquation des factures et de rembourser leurs clients, mais pas celui de définir la politique de la santé.

Une mauvaise solution

L’introduction d’un nouveau moratoire (clause du besoin) pour trois nouvelles années ne peut être qu’une – mauvaise – solution transitoire, laissant juste le temps d’élaborer des solutions plus adéquates. Il est cependant à craindre que la confédération ne saisisse l’occasion non pas pour traiter véritablement le problème de fond, qui relève notamment de la politique étrangère, mais pour encadrer la médecine ambulatoire de telle façon qu’elle devienne moins attractive pour tous les praticiens, qu’ils soient autochtones ou immigrants! La qualité des soins pourrait alors en pâtir fortement.

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