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En Syrie

Jean-Michel Henny
La Nation n° 1955 30 novembre 2012

Ça se passe en Syrie, juste après la Première Guerre mondiale. Les Puissances dépècent l’Empire ottoman. La France prend pied à Beyrouth et Damas et se voit confier un mandat par la SDN; elle doit conseiller, aider et guider les populations qui lui sont confiées en vue de les préparer progressivement à une souveraineté complète.

En tenant compte des différentes minorités qui composent la région, la France découpe la Syrie en plusieurs entités aux statuts différents. Après avoir proclamé le «Grand Liban», multiconfessionnel, elle constitue les Etats de Damas et d’Alep, à majorité sunnite, qui seront réunis en 1925, le Djebel Druze au sud, le Sandjak d’Alexandrette au nord, qui deviendra turc plus tard, et l’Etat des Alaouites, autour de la ville de Lattaquié.

Mais qui sont les Alaouites? Les musulmans, tant sunnites que chiites, les considèrent comme hérétiques. Ils sont apparus au IXe siècle en Mésopotamie. Ils se réfèrent à une doctrine ésotérique et syncrétiste développée sur une base chiite. Ils n’ont pris le nom d’Alaouites qu’en 1920, en référence à Ali, gendre de Mahomet et père spirituel du chiisme. Pour les Alaouites, Ali est érigé au rang de quasi-divinité; il est placé au sommet d’une trinité avec Mahomet et son compagnon Salman. Ils empruntent d’autres traditions, comme certains rites chrétiens et païens1.

Rejetés par les musulmans, les Alaouites ont vécu dans une société fermée. Leur hétérodoxie les privait de toute instruction. C’est une des raisons pour lesquelles la France s’investit beaucoup pour les Alaouites en construisant routes, hôpitaux et écoles. Mais les relations s’altèrent au moment des grands choix pour l’avenir de ces contrées.

En effet, au moment où il s’agit de mettre un terme au mandat français, les Alaouites, craignant toujours particulièrement les sunnites, majoritaires à Alep et Damas, s’opposent vivement à la création d’une Syrie dans laquelle ils seraient intégrés. Ils estiment que l’unité syrienne ne repose sur aucune considération historique, religieuse, politique, économique ou administrative et qu’elle imposerait une hégémonie insupportable pour eux.

Le Conseil représentatif de Lattaquié adresse en 1936 au Président du Conseil, Léon Blum, une lettre dans laquelle on peut lire: «Pour vous permettre de vous rendre compte de la profondeur de l’abîme qui nous sépare des Syriens et d’imaginer la catastrophe désastreuse qui nous guette, nous vous prions de bien vouloir déléguer sur place une commission d’enquête parlementaire en vue de constater la situation présente et pour juger de l’impossibilité du rattachement des Alaouites à la Syrie sans risquer une tragédie sanglante qui fera tache noire dans l’histoire de la France… Nous refusons de reconnaître, quoi qu’il puisse nous en coûter, toute solution ou tout accord engageant notre cause sans notre agrément.».

Voyant qu’ils n’arriveront vraisemblablement pas à convaincre les Français qui préfèrent privilégier leurs amis de Damas, les Alaouites se tournent du côté du Liban dans un projet de rattachement à ce pays. En juin 1936, les membres du Conseil représentatif au sein duquel figurent aussi des chrétiens écrivent: «Autrefois, le territoire de Lattaquié relevait administrativement de Beyrouth… composé de minorités comme nous, le Liban au moins respectera nos croyances, nos traditions, notre dignité, notre sécurité, tandis que la Syrie représente l’oppression morale et sociale, le fanatisme religieux autorisant l’extermination des Alaouites, comme le prouve l’histoire…» Lorsqu’ils s’adressent au Patriarche maronite, ils s’expriment ainsi: «Nous sommes des voisins et nous avons des ennemis communs – les Musulmans sunnites – à l’hégémonie desquels nous voulons échapper.»

Mais la démarche échoue. Les Libanais n’en veulent pas. Les Français restent sourds à leurs prières.

Il faut dire que les Alaouites ne parlent pas d’une même voix. Dans un mémoire de juillet 1936 destiné à la France, huitante-sept Alaouites déclarent souhaiter leur rattachement à Damas.

Les choses vont ensuite très vite. L’unité syrienne se fait et les Alaouites, tout comme les Druzes, sont intégrés dans la Syrie.

En 1970, le général Hafez El-Assad, d’origine alaouite, qui n’est autre que le fils d’Ali Soleiman, l’un des huitante- sept pétitionnaires souhaitant leur rattachement à la Syrie, prend le pouvoir à Damas. Son fils lui succède à sa mort, en 2000. Les postes importants dans l’administration, l’armée et l’économie sont occupés par des Alaouites.

Ces quelques rappels historiques, succincts, sommaires et réducteurs, peuvent nous éviter des jugements hâtifs.

 

Notes:

Les informations qui précèdent sont tirées principalement d’un article d’Annie Laurent intitulé «La crise syrienne: ses causes historiques», paru dans la Nouvelle Revue d’Histoire no 61 (juillet - août 2012).

1 Il ne faut pas confondre les Alaouites de Syrie avec la dynastie alaouite du Maroc, qui se réfère à une généalogie et non à une confession; le roi du Maroc professe le sunnisme.

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