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Le Requiem de Ropartz, un chef-d'œuvre méconnu

Frédéric Monnier
La Nation n° 1955 30 novembre 2012

Ropartz? Il y a fort à parier que ce nom aux consonances rudes et rocailleuses comme sa Bretagne natale ne dise pas grand-chose à bon nombre de nos lecteurs, et cela n’a rien d’étonnant. En effet, Joseph-Guy Ropartz fait partie de cette féconde génération de compositeurs français nés entre 1850 et 1880, hélas mal ou très peu connus, si l’on excepte Debussy et Ravel. Pourtant, il se trouve parmi eux des créateurs de tout premier plan: pensons, sans être exhaustif, à Ernest Chausson, Paul Dukas, Vincent d’Indy, Albéric Magnard, Albert Roussel ou Florent Schmitt.

Or, le 5 décembre prochain, une œuvre de Ropartz sera interprétée pour la première fois en Pays de Vaud: son Requiem pour soprano, chœur et orchestre (voir informations ci-dessous), lequel mérite qu’on en dise un mot, car il s’agit d’un chef-d'œuvre.

Né en 1864 dans la petite ville bretonne de Guingamp (actuel département des Côtes d’Armor), Ropartz est un quasi contemporain de son grand aîné Debussy, né deux ans plus tôt, dont il est toutefois très éloigné esthétiquement parlant. Elève de César Franck, ami de d’Indy et Magnard, directeur du Conservatoire de musique de Nancy pendant vingt-cinq ans, puis de celui de Strasbourg de 1919 à sa retraite en 1929, père d’une famille nombreuse (sept enfants, dont deux meurent en bas âge), Ropartz, malgré son travail (outre ses fonctions directoriales, il dirige de nombreux concerts), n’en a pas moins composé une œuvre qui compte près de 200 opus et recouvre à peu près tous les genres. Il s’éteint dans sa propriété bretonne de Lanloup en novembre 1955, à l’âge respectable de 91 ans.

Le compositeur est en pleine possession de ses moyens quand il reçoit, en 1937, la commande d’un Requiem. Celui-ci devait être créé à Strasbourg pour commémorer les vingt ans de l’armistice du 11 novembre 1918, mais, à la suite de diverses circonstances, il ne sera donné en première audition qu’en 1939 à Angers, sous la direction du compositeur lui-même.

On ne met pas en musique la prose de la Messe des morts comme on écrit n’importe quelle autre œuvre; l’évocation des fins dernières suscite un questionnement existentiel et métaphysique.

De plus, la confrontation avec d’illustres exemples (Mozart, Berlioz, Verdi, Fauré, pour ne citer que les plus connus) peut être intimidante. Ropartz n’a pourtant pas hésité avant de se lancer dans la composition de ce Requiem; il faut dire qu’il avait déjà écrit plusieurs œuvres de musique sacrée dans les années vingt; le «terrain», si l’on ose écrire ainsi, était préparé.

Dans l’excellent petit livre qu’ils ont consacré à Ropartz (Editions Papillon, Genève, 2005), Mathieu Ferey et Benoît Menut (op. cit. p.127) écrivent: «L’œuvre unit trois éléments majeurs de la personnalité du compositeur. Tout d’abord, la joie inhérente aux années trente, ensuite la sagesse et le détachement que lui apporte l’âge et enfin l’expression d’une foi profonde et inébranlable.» C’est sur ce dernier point que le Requiem de Ropartz se distingue le plus nettement de celui de Fauré auquel on l’a parfois comparé et qui est l’œuvre d’un agnostique: quelqu’un a qualifié celui-ci de «berceuse de la mort», alors que chez Ropartz il s’agit plutôt d’«un calme et fervent credo teinté d’optimisme» (Ferey et Menut, op.cit. p.129). En revanche, comme son aîné, Ropartz ne retient pas les parties plus dramatiques, voire extérieures, telles que le Tuba mirum, le Dies irae ou le Lacrymosa, propices aux déchaînements orchestraux cataclysmiques chez Berlioz ou Verdi, par exemple.

Ropartz n’est pas un novateur comme le fut Debussy, il ne fait pas éclater les formes et son langage musical reste dans les limites de la tonalité; cependant il manifeste une prédilection pour les modulations et les enchaînements harmoniques parfois surprenants, mais toujours parfaitement amenés. Eloigné de la conception romantique de l’artiste inspiré, il prône l’acquisition d’un solide métier «afin de n’être jamais gêné dans l’expression de [sa] sensibilité» et il est d’avis «qu’il ne peut exister d’œuvre d’art digne de ce nom sans ordre, équilibre et proportions».

Baignant dans une lumière douce et tamisée, dépourvu d’éclats (si l’on excepte la fin du Sanctus), le Requiem de Ropartz peut, à la première écoute, dérouter ou laisser indifférent. Or, pour en goûter toute la beauté, l’œuvre mérite d’être entendue plusieurs fois, ce qui est heureusement possible grâce à l’enregistrement (le seul, alors qu’on ne compte plus ceux du Requiem de Fauré!) qui en a été fait il y a déjà un peu plus de vingt ans par le Chœur régional Vittoria d’Ile de France et l’ensemble instrumental Jean-Walter Audioli sous la direction de Michel Piquemal (disque enregistré à l’époque sous le label Adda).

Dans une lettre à Jacques Feschotte du 17 juin 1951, Ropartz écrivait sur un ton désabusé: «Cela me serait très agréable que le Requiem ne reste pas sur ses lauriers – car ils existèrent – des premières auditions. Mais mes œuvres ont souvent une destinée étrange: un très beau départ… puis le silence.» Puisse ce silence être enfin brisé et ce concert donner l’élan pour la réhabilitation d’un compositeur attachant!

Ajoutons qu’en complément de programme, on entendra deux œuvres de compositeurs autrement plus connus, le Kyrie en ré mineur KV. 341 de Mozart, chef-d'œuvre d’une brièveté saisissante qui ne le cède en rien aux plus grandes pages du musicien, et le justement célèbre et non moins magnifique Psaume 42, Wie der Hirsch schreit, de Mendelssohn.

[Chœur Bis (préparé par Olivier Piguet), Chapelle vocale de Romainmôtier et Orchestre de chambre de Lausanne s’unissent sous la direction de Michel Jordan pour donner ce concert, hélas unique, le mercredi 5 décembre, cathédrale de Lausanne, 20h30]  

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