Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La réalité cantonale précède la Constitution fédérale

Félicien Monnier
La Nation n° 1955 30 novembre 2012

Certains lecteurs de notre précédent article (Il ne doit pas y avoir de compétence fédérale générale, La Nation no 1952 du 19 octobre 2012) ont été surpris par notre position. La Ligue vaudoise contredit parfois la conception juridique officielle de la Constitution fédérale. Ainsi en est-il de nos conceptions fondamentales en matière de fédéralisme.

Nous avons l’habitude d’affirmer que les cantons sont réellement souverains. Mais selon la doctrine constitutionnelle unanime, l’article 3 de la Constitution fédérale1 n’exprime pas une vraie souveraineté, puisque cette souveraineté s’exerce sous le parapluie des institutions fédérales, et que ce sont elles qui prévoient les mécanismes de répartition des compétences. La souveraineté réelle se trouverait ainsi au niveau de la Confédération.

De là à affirmer qu’il existe une compétence fédérale générale, il n’y a plus qu’un demi pas à franchir.

Ce raisonnement est cohérent et partiellement pertinent en ce que la Confédération, alliance militaire permanente, permet l’existence des cantons. Mais cette alliance militaire n’est que l’expression de la réalité politique propre des Etats cantonaux. Elle est l’un des moyens que les cantons se sont donnés pour garantir leurs libertés.

En fait, le cœur du débat touche à la nature du droit constitutionnel, et à sa raison d’être. Quant à nous, nous considérons que les réalités politiques cantonales sont antérieures à la Constitution et s’imposent à elle de toute leur souveraineté.

La volonté des hommes n’est pas le seul élément qui préside à leur destinée. Les hommes ne sont pas sortis un jour du bois pour fonder ex nihilo le Canton de Vaud. L’œuvre de Pierre de Savoie ne partait pas de rien. Il a appliqué sa volonté politique à donner une unité à quantité de terres et de droits. A cette volonté, dont les effets sont encore perceptibles, il faut ajouter un mélange de hasard et de nécessités naturelles. Dans le temps long, la volonté politique et les hasards ont forgé un destin commun aux familles qui vivaient sur ce territoire. C’est notre pays, et notre Etat.

Le moderne affirme le primat de la volonté, exercée dans le sens de ses «idées» et de sa volonté individuelles. Nous croyons que la volonté n’a pas à contester la réalité du pays, sauf à vouloir l’aliéner ou le détruire. Affirmer que le peuple souverain aurait le droit de se détruire moralement lui-même en se fondant dans un Etat plus grand que lui est un non sens. Et le constituant n’a pas à être l’interprète de cette volonté-là.

Il incombe au contraire au constituant de constater dans quels milieux l’homme vit, de déceler les mécanismes qu’il a mis en place, ceux qui lui conviennent et ceux qui ne lui conviennent pas. Son rôle est de mettre en place des institutions respectueuses du bien commun cantonal et favorables à l’indépendance fédérale.

En ce qui nous concerne, nous constatons l’histoire des cantons, leur profondeur culturelle, leur existence opiniâtre, tout simplement. C’est de ce point que partent nos raisonnements, d’une réalité politique quotidienne dans laquelle nous vivons.

L’article 3 porte peut-être à confusion, confusion due au caractère ambigu de l’Etat fédératif, ainsi qu’à l’utilisation de mots qui ont perdu leur sens originel. En 1848, puis en 1874, on a voulu faire monter la souveraineté d’un niveau, sans pour autant créer une compétence fédérale générale. Motivée par l’idéologie radicale de l’époque, cette centralisation était imposée par des objectifs autres que strictement constatatoires. Une situation déséquilibrée en est ressortie.

La participation du «peuple suisse» aux processus constitutionnels est constitutive de ce déséquilibre. Nous avons fini par nous habituer à cette schizophrénie.

En cent cinquante ans, les mécanismes institutionnels de la «Suisse moderne» n’ont que peu changé. Mais, égalitaire et mondialiste, l’idéologie dominante finira par négliger l’interprétation traditionnelle d’un article 3 déjà insatisfaisant en 1874, au profit d’une interprétation volontariste: le vote des cantons ne sera bientôt plus considéré que comme un obstacle juridique arbitraire à la volonté de changement. Et on l’interprétera de plus en plus dans le sens de l’existence d’une compétence fédérale générale.

 

NOTES:

1 Art. 3 Cst. féd: «Les cantons sous souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.»

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: