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Le quatrième âge

Jean-François Cavin
La Nation n° 2189 3 décembre 2021

Les vieux ont été l’objet de beaucoup de sollicitude dans notre Canton – du moins verbalement – en ce mois de novembre. Les Retraites Populaires leur ont consacré un intéressant «Forum de la prévoyance» et l’Etat a convoqué des assises lançant la préparation d’un nouveau programme «Vieillir 2030». Cela à juste titre, car le nombre des personnes âgées de plus de 80 ans va probablement augmenter très sensiblement, sous le double effet de l’allongement de la vie que nous procure une médecine efficace et de l’arrivée des fortes volées d’après-guerre au stade du grand âge; on en dénombre environ 40 000 dans le Canton actuellement, on en attend 80 000 en 2040; et les centenaires, qui étaient une soixantaine dans la Suisse entière à s’asseoir dans le mythique fauteuil il y a un demi-siècle, forment aujourd’hui déjà une cohorte de 1 500 personnes!

A 80 ans et plus, les uns sont en pleine forme et multiplient les voyages, des dames comblent leur entourage de pâtisseries comme on n’en fait plus et vont le mardi à la gym des copines, des hommes font du vélo, boivent l’apéro sans faiblir et accompagnent au match leurs petits-enfants; d’autres sont perclus, perdent l’appétit, ne voient plus clair, n’ont plus le droit de conduire, oublient leurs clés dans des endroits improbables. Disons qu’en moyenne, c’est un moment où la question d’une adaptation du mode de vie à des capacités physiques (et peut-être mentales) diminuées se pose sérieusement. Les spécialistes considèrent que 85% des personnes de 80 ans et plus ont besoin d’une aide ou de soins à domicile.

Le sort des vieux requiert attention à plusieurs égards. Nous ne nous arrêterons pas ici sur les aspects psychologiques, quand bien même ils sont primordiaux. L’octogénaire ne doit pas cultiver le sentiment exclusif qu’il est sur le déclin; il doit aussi valoriser les bienfaits de l’âge, qui lui confèrent l’expérience de la vie, un possible sentiment d’accomplissement, une certaine sérénité. Avec quelques amis octogénaires, nous sommes en effet du ferme avis que les freluquets pensant que le monde a commencé avec Lady Gaga et qu’il importe de zapper au gré de leurs caprices ont tout à apprendre de notre sagesse; du moins pour s’en inspirer en profondeur même si, à vingt ans, on se doit de s’ébrouer en ruant dans les brancards.

Sur le plan politique, en effet, ce sont surtout les conséquences pratiques et financières du vieillissement qu’il faut s’efforcer de maîtriser. Avec le grand âge, il devient difficile de mener une vie indépendante, mais rares sont celles et ceux qui souhaitent l’hébergement en EMS. L’Etat non plus, d’ailleurs, car cet hébergement coûte très cher et la main publique en assume la majeure partie. Chez nous, il faudra encore construire quelques asiles de vieillards. Mais l’effort principal doit porter sur le maintien à domicile dans des conditions de sécurité sanitaire et de bien-être aussi bonnes que possible. Les soins itinérants des CMS se sont fortement développés sous l’impulsion du conseiller d’Etat Philippe Pidoux, qui avait une vue claire des besoins futurs de la politique de la santé; l’offre parapublique et privée place notre Canton en bonne position en comparaison suisse, du moins quantitativement; il y a en revanche des corrections à apporter dans l’organisation du travail du personnel soignant, trop occupé à des tâches administratives et dont les actes auprès du patient sont mesquinement minutés.

C’est surtout sur l’adaptation du logement des seniors qu’il faut agir maintenant, soit en multipliant les «logements protégés» qui mettent à disposition des services ménagers et médicaux, soit simplement en adaptant le logement existant aux besoins d’une mobilité amoindrie; car la majorité des octogénaires sénescents souhaite demeurer dans l’appartement occupé depuis des années, dont ils sont assez souvent propriétaires, en conservant leurs habitudes et leur entourage. M. Tristan Gratier, le jovial et clairvoyant directeur de Pro Senectute Vaud, appelle de ses vœux un grand programme allant dans ce sens. Cela suppose des transformations souvent peu lourdes – suppression des seuils, aménagement ergonomique de la cuisine, remplacement de la baignoire par une douche de plain-pied, fixations de rampes, création d’un ascenseur si c’est possible. Il convient aussi de développer la fonction de l’assistance de vie, les enfants étant souvent trop éloignés de leurs vieux parents; il s’agit donc de faire des visites régulières, de faciliter l’accès aux associations proposant des loisirs adaptés au grand âge, d’organiser au besoin le recours au CMS, d’accompagner les patients à leurs rendez-vous médicaux, d’offrir une aide administrative.

Cette politique de maintien à domicile coûte bien moins cher que l’hébergement, mais elle occasionne tout de même des dépenses. Qui les prendra en charge? Les gens du quatrième âge ont parfois quelques moyens, qui le plus souvent ne suffiront cependant pas à financer un investissement pour l’adaptation de l’appartement, voire le juste loyer d’un logement protégé, et les aides à domicile. On aimerait que la population dans son ensemble prenne conscience des dépenses presque inéluctablement liées à cette étape de la vie et s’y préparent financièrement; mais l’offre d’une «assurance contre le risque de dépendance», à laquelle on cotiserait depuis la cinquantaine, ne semble pas avoir de succès, et les Retraites Populaires n’y croient guère. Il ne semblerait toutefois pas déplacé de relancer cette solution en l’assortissant d’avantages fiscaux substantiels.

Les caisses de pensions ont aussi un rôle à jouer. Pour la création «d’appartements protégés», elles devraient se convaincre que la demande potentielle est importante et qu’il vaut la peine d’investir dans ce domaine, alors que la construction de logements standard marque le pas. Or il y a un délicat problème de localisation, si l’on souhaite que nos vieux ne soient pas isolés aux confins des agglomérations, mais au contraire bien intégrés dans la vie locale et proches des services utiles; les communes pourraient aider efficacement à réserver l’affectation de certains terrains à des réalisations de ce type. Pour les frais d’adaptation des logements, pourquoi ne pas songer, outre la défiscalisation des dépenses en cause, à des prêts garantis par l’Etat qui s’éviterait ainsi des dépenses d’hébergement bien plus lourdes? Il y a, par les allègements fiscaux et par des partenariats public-privé, des pistes à suivre qui éviteraient une pure et simple collectivisation supplémentaire et un nouvel alourdissement de la facture sociale.

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