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Dragons hypersoniques

Edouard Hediger
La Nation n° 2189 3 décembre 2021

Au cours de la dernière décennie, le contrôle des armements a été fortement érodé par la violation d’accords existants d’une part, mais surtout par la résiliation d’accords importants. En août 2019 tombait un des derniers verrous de la Guerre froide avec la dénonciation du traité d’interdiction des missiles dits à portée intermédiaire (INF, entre 500 km et 5500 km), signé en 1987 entre Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan. En août 2021, la Chine a testé un missile hypersonique, potentiellement indétectable, qui aurait fait le tour du monde avant de se diriger vers sa cible. L’information a été corroborée par le chef d’état-major des armées américaines, qui a évoqué un «essai très significatif». En octobre 2021, Vladimir Poutine annonce détenir «l’arme absolue» pour percer les boucliers antimissiles américains et européens avec une nouvelle arme, le planeur Avanguard, capable de couvrir la distance entre Moscou et New York en moins d’un quart d’heure à plus de 33 000 km/h (Mach 27). Au-delà de la rhétorique et des démonstrations de force, ces tests révèlent deux tendances.

Premièrement, si les stocks d’armes nucléaires des grandes puissances sont quantitativement stables, leurs arsenaux sont en voie d’amélioration sur le plan qualitatif. Ces nouveaux vecteurs éliment la frontière entre un armement stratégique et un armement conventionnel, et leur vitesse implique qu’un Etat sera contraint, par manque de temps, de répliquer dès qu’il percevra la moindre menace, augmentant le risque de bavure. Furtivité, vitesse, trajectoires non-prédictibles, leurres, la modernisation des armements est encouragée par le regain des tensions, et des investissements importants sont consentis. Après une période de baisse des dépenses militaires mondiales, entre 1991 et 1998, la tendance est aujourd’hui à la reprise. En 2020, le monde a consacré 1’981 milliards de dollars à l’armement contre 839 en 2001, dont une grande part est attribuée au développement de capacités stratégiques des pays émergents. Missiles balistiques Satan II aptes à faire le tour de la Terre, missiles de croisière hypersoniques Zirkon, torpilles nucléaires Poséidon capables de déclencher des tsunamis, construction de 300 silos à missiles en Mongolie-Intérieure: la Russie et la Chine prennent une longueur d’avance sur le front technologique.

Le monopole des technologies de pointe n’appartient donc plus au complexe militaro- industriel des Etats-Unis, qui apparaît de plus en plus à la traîne. Si les essais chinois sont démentis par Pékin, ils ont suscité la surprise des Etats-Unis, qui ne s’attendaient pas à un tel bond en avant technologique. Leur ambassadeur en charge du désarmement admet qu’il n’y a «d’autres choix que de réagir dans la même veine», au risque d’alimenter les tensions. Ces inquiétudes obligent Washington à augmenter les dépenses consacrées aux technologies hypersoniques et à recentrer ses alliances vers le Pacifique. Ainsi, la vente de sous-marins nucléaires à l’Australie est unique en son genre et doit être relevée, au vu du caractère d’habitude exclusif et sensible de ces technologies, du manque de savoir-faire australien dans ce domaine, pays jusqu’ici farouchement opposé à l’atome, et de la dénonciation d’un précédent contrat avec la France pour ces mêmes sous-marins. On soulignera que ce bond en avant a bénéficié de certaines technologies européennes, alors que des licences de matériel ont été vendues à la Chine pour un montant global de deux milliards d’euros, et que celle-ci exploite avec brio l’effacement de l’industrie de défense européenne.

Deuxième tendance, ces investissements montrent que le «tout hybride», la contre-insurrection et les conflits en dessous du seuil de la guerre, tant mis en avant ces dernières années, ne sont que des aspects du développement des conflits au XXIe siècle. Au même titre que le retour des brigades mécanisées robustes et des porte-avions, ou le développement de capacités cyber, le retour des armements dits stratégiques doit être pris en compte et pourrait également, même si leur prolifération se déplace en Asie, menacer la Suisse. Cette dynamique concerne aussi bien les grandes puissances que les pays émergents. La capacité de dissuasion ne sera plus l’apanage de quelques membres permanents du Conseil de sécurité. En effet, le Brésil et l’Inde travaillent également au développement de missiles ou de planeurs hypersoniques. Même la Corée du Nord a annoncé en octobre 2021 avoir testé des missiles balistiques lancés à partir de sous-marins, acquérant ainsi la capacité de seconde frappe. Des acteurs non-étatiques pourraient eux aussi se procurer à l’avenir des missiles de croisière.

Certes, l’Armée suisse ne pourra que difficilement régater dans le domaine technologique face aux géants. Néanmoins, elle doit continuer à développer des moyens capables de lutter contre l’ensemble des menaces, dans toutes les sphères d’opération, et ne pas se contenter de mettre sur pied quelques bataillons cyber ou une police aérienne légère. N’en déplaise à certains, l’Armée n’est efficace que lorsqu’elle est pensée comme un ensemble de systèmes.

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