Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Pour une vraie Chambre des Cantons

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2239 3 novembre 2023

La vexation des Verts après l’échec de leur alliance avec les socialistes fait escorte à l’angoisse libérale-radicale de ne pas placer un autre ancien conseiller d’Etat à la Chambre haute.

Les congrès des partis, réunis lundi 23 octobre, ont montré un beau florilège de dénigrement électoraliste. Olivier Feller assuma l’attaque ad hominem: «Il faut l’ego surdimensionné d’un mâle alpha écologiste pour se présenter au deuxième tour d’une élection alors qu’on n’a même pas atteint 25% au premier tour.» Le principal concerné se rassura en donnant dans le moralisme politique: «Le camp progressiste réunit bien plus que le camp du repli.» Pierre-Yves Maillard joua, déjà, au vieux sage universel donnant des leçons de démocratie: «Il y a une chose qu’on sait avec l’expérience, c’est qu’il ne faut jamais appeler à un deuxième tour tacite, comme l’a fait le camp majoritaire. Car la démocratie est un bien précieux, un siège ça se conquiert (…).»

La virulence de la campagne en cours révèle combien le Conseil des Etats n’est plus perçu comme la Chambre des Cantons mais comme une arène supplémentaire dont le petit effectif permet de démultiplier l’influence de chaque parti.

La responsabilité de cette surenchère va-t-elle à l’air du temps, à la fracture qui opposerait le wokisme des Verts à l’épaisseur du bon sens libéral-radical? Non. Elle incombe au régime lui-même.

Les élections fédérales donnent depuis trop longtemps aux partis l’occasion de dérouler leur programme en grand.

Une fois à Berne, comme un enfant devant un plat de friandises, le député – au National comme aux Etats – ne pense plus à qu’à se bâtir un «bilan à défendre». Les compétences fédérales se nourrissent de ses gesticulations, trop souvent transformées en lois fédérales.

L’élection aux Etats n’a pourtant pas toujours découlé d’un scrutin populaire. Le Dictionnaire historique de la Suisse rapproche le fonctionnement du Conseil des Etats du XIXe siècle de celui de la Diète fédérale. La majeure partie des Cantons faisait élire ses sénateurs par leur Grand conseil, pour une seule année. Même si le vote sur instruction était théoriquement déjà interdit, le député qui ne relayait pas à Berne les préoccupations de son Canton était dès lors facile à discipliner. En 1977, le Canton de Berne fut le dernier à abandonner l’élection des conseillers aux Etats par le Grand Conseil. Vaud y avait renoncé en 1917, non sans préciser qu’un seul conseiller d’Etat pouvait être élu comme conseiller aux Etats1.

Nous ne sommes pas seuls à dénoncer que les sénateurs ont fini par couper leurs liens avec les Cantons. Récemment, Christelle Luisier a explicitement décrit la création de l’Office des affaires extérieures du Canton de Vaud, ou sa participation active au sein des conférences intercantonales, comme les indispensables réactions à la «domination» du Conseil des Etats par les «logiques partisanes»2.

L’Office des affaires extérieures affirme l’existence du Canton comme entité politique, traitant non seulement avec la Confédération et les Cantons voisins, mais également avec des Etats ou organisations étrangers. Que la présidente du Conseil d’Etat l’ait repris dans son giron est une excellente chose.

Les conférences intercantonales – de même que la Maison des Cantons qui les abrite à Berne – sont plus ambivalentes. En 2005, lors de la création de cette institution, ces colonnes avaient dénoncé le risque qu’elle devienne l’ambassadrice de la Confédération auprès des Cantons, eux-mêmes perçus comme un ensemble homogène3. La récente adoption du gymnase en quatre ans a découlé de tels mécanismes de pression descendante.

Plusieurs moyens permettraient d’enrayer ces dynamiques centripètes. Un premier est non seulement de s’opposer systématiquement aux projets centralisateurs, mais encore de réclamer bruyamment la restitution de compétences. Il faut attendre du gouvernement cantonal qu’il s’obstine à défendre les libertés vaudoises.

Un second est de réformer le fonctionnement du Conseil des Etats. Le vote sur instruction, actuellement interdit par la Constitution fédérale, devra d’abord être autorisé. On pourra alors imaginer que le Grand Conseil ou le Conseil d’Etat puissent, moyennant certaines exigences formelles, donner à ses sénateurs des mandats contraignants. De la même manière que les chefs de Département défendent aujourd’hui la position de leurs Cantons dans les conférences intercantonales.

Mais cela reste une solution intermédiaire. Il serait à la fois plus simple et plus cohérent de prévoir que le Gouvernement vaudois nomme directement les conseillers aux Etats, chargés de représenter les positions du collège à Berne et d’y siéger en commission. D’un point de vue fédéraliste, leur légitimité sera supérieure à celle de l’onction populaire accordée au «ticket» sélectionné par le congrès d’un parti.

Notes:

1      Art. 26bis de la Constitution vaudoise du 1er mars 1885, adopté les 21 février et 24 mars 1917.

2     Christelle Luisier, «Célébrons l’anniversaire des constitutions fédérale et vaudoise», 24 heures du 23 septembre 2023.

3     Olivier Delacrétaz, «Un piège pour les cantons», La Nation, n° 1816, du 3 août 2007.

Cet article est disponible en version audio (podcast) au moyen du lecteur ci-dessous:

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: