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Une loi malhonnête en perspective

Alexandre Pahud
La Nation n° 1991 18 avril 2014

A l’heure actuelle, presque tout le monde paie la concession radio. Perçue par la société Billag à Fribourg, sur mandat de la Confédération, cette taxe se monte à environ 170 francs par année.

Or, elle ne touche pas uniquement les personnes qui possèdent un poste récepteur à domicile ou dans leur voiture. Le législateur, qui a vu large, a décidé d’assujettir à la redevance radio quiconque dispose d’un accès au web par le biais d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone. Le seul moyen d’échapper à la taxe est de renoncer purement et simplement à toute connexion internet. Pour justifier de tels prélèvements – et forts d’un arrêt du Tribunal administratif fédéral rendu en 2012 –, les limiers de Billag, qui mènent la traque aux mauvais payeurs et aux fraudeurs, invoquent le fait «que vous pouvez écouter la radio sur internet» (sic!). Dans le cas de la télévision, en revanche, la détention d’un ordinateur n’astreint pas au versement de la redevance, à moins d’avoir conclu un abonnement pour recevoir les programmes et installé un logiciel à cet effet.

Après être parvenues à taxer les non-possesseurs de radio, les autorités fédérales auraient eu tort de s’arrêter en si bon chemin; la cohérence de la démarche exigeait que l’on s’en prenne également aux gens qui ne paient pas la télévision, faute de poste. C’est ainsi que, le 12 mars dernier, le Conseil national a avalisé un projet du Conseil fédéral qui introduit désormais une redevance radio/TV universelle, présumée à 400 frs par an. Cette fois, on a vraiment mis le paquet, puisque la nouvelle taxe frappera non seulement les personnes dépourvues de radio et de télévision, mais également celles qui n’ont pas de connexion à internet. Le lien juridique établi précédemment entre l’accès potentiel aux émissions et le paiement de la redevance a maintenant disparu, preuve qu’il ne s’agissait que d’un écran de fumée. Certes, dans la nouvelle loi, des exonérations sont prévues en faveur des bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI, ainsi que des résidents en EMS. En revanche, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 Fr. devront passer à la caisse. Cette dernière mesure, conçue de manière générale, est d’autant plus incompréhensible que les gens qui se rendent chaque jour dans une entreprise y vont en principe pour travailler, plutôt que pour se distraire avec de l’audiovisuel.

D’un point de vue juridique, une taxe se distingue d’un impôt en ce sens que son produit est affecté au financement d’une prestation spécifique. A l’instar de la TVA, elle se fonde en général sur la consommation effective de biens ou de services; elle finance également certains coûts assumés par les collectivités publiques, comme l’élimination des déchets; parfois, elle prend la forme d’une compensation pécuniaire, c’est-à-dire qu’elle rachète une obligation légale non remplie: il en va ainsi de la taxe militaire ou de la taxe non-pompier. Concernant la radio et la télévision, à la fois biens et services, l’introduction d’une redevance généralisée et obligatoire, sans rapport avec la consommation, constitue en réalité une hausse d’impôt déguisée en taxe.

Afin de justifier ces prélèvements abusifs, les promoteurs de la redevance radio/TV invoquent les nouvelles technologies, en particulier internet, qui permettraient à chacun d’accéder aux programmes des chaînes, indépendamment de la possession d’une radio ou d’un téléviseur. L’argument est d’autant plus spécieux que la diffusion sur internet a été décidée et mise en œuvre par les médias eux-mêmes, et non par les personnes dépourvues d’appareil. Il est raisonnable de penser que la plupart d’entre elles – tel le soussigné – ne souhaitent tout simplement pas voir ces programmes et encore moins les financer. Par conséquent, si la SSR, imbue de son excellence, craint à tel point que l’on puisse se délecter de ses productions en cachette, elle doit alors les coder et en réserver l’accès à des abonnés, à l’exemple de nombreux sites payants. Quand on sème à tout vent sur le web, il ne faut pas venir ensuite réclamer de l’argent!

Au-delà de ses aspects juridiques et techniques, la redevance obligatoire constitue un enjeu politique important, comme l’ont montré les récents débats au Parlement fédéral. Parmi les adeptes de la nouvelle taxation, on trouve bien entendu les bénéficiaires du système, c’est-à-dire la bourgeoisie de gauche, depuis longtemps surreprésentée dans les médias. Il s’agit principalement des socialistes, alliés au PDC en la circonstance. Sous couvert de défense du «service public», soit d’une télévision d’Etat monocolore, ces milieux cherchent en fait à garantir durablement une situation de rente à leurs amis journalistes, que pourrait fragiliser à terme l’essor d’une information gratuite et concurrente, voire dissidente, sur internet; ce faisant, la gauche consolide son emprise sur les moyens de communication officiels, qui représentent l’un des principaux leviers de pouvoir dans les sociétés contemporaines. A l’inverse, les parlementaires les plus opposés à la taxe se recrutent surtout parmi l’UDC, un parti sans véritable encrage médiatique et souvent malmené par les journalistes du sérail.

En promettant de ramener la taxe radio/TV à 400 Fr., au lieu des 462 Fr. actuels, le projet du Conseil fédéral tend à annihiler toute opposition populaire, rendant quasiment impossible le lancement d’un référendum. Alors que la plupart des ménages sont équipés d’un téléviseur ou plus, comment demander aux citoyens de voler au secours d’une infime minorité de perdants? Pourtant, même les bénéficiaires d’une réduction – probablement temporaire – trouveraient une excellente raison de s’opposer à cette loi inique, étant donné le grave précédent qu’elle crée. En fait, l’avènement d’une espèce de «taxe pour non-consommateurs» ouvre grand la porte à tous les abus, dont chacun risque de faire un jour les frais. Dans une perspective aussi faussée, on pourrait valablement généraliser le paiement de la vignette autoroutière en l’imposant même à ceux qui n’ont ni voiture ni permis de conduire. Cela permettrait de régler une fois pour toutes les problèmes d’encaissement et de fraudes, motifs invoqués à l’appui de la redevance radio/TV obligatoire. Nous pensons qu’il faut se dépêcher de faire breveter cette idée avant qu’on ne nous la vole.

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