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L’école de grand-papa

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1885 26 mars 2010
Les partisans de la réforme scolaire reprochent à ce qu’ils appellent l’«école de grand-papa» d’avoir été inégalitaire et de s’être plus préoccupée de formater les élèves que de mettre en valeur leurs qualités individuelles. C’est commode pour la polémique, mais inapproprié, car les pédagogues de grand-papa se souciaient eux aussi des inégalités et des différences, même si leur approche était évidemment tout autre.

Le réformateur scolaire pose l’égalité comme un principe absolu et une revendication prioritaire. Il veut organiser l’enseignement de façon à soustraire l’enfant à l’influence de son milieu social, source d’inégalités et d’injustices, pour que celui-ci puisse choisir la voie qui lui convient en parfaite égalité avec ses condisciples.

Cette égalité fondamentale, le réformateur tient à ce que tous les aspects du monde scolaire la manifestent: méthodes identiques pour tous, bâtiments unifiés et classes hétérogènes, formation unique pour tous les maîtres.

Le réformateur n’accepte la différenciation qu’au niveau de la pédagogie, et uniquement dans le but de procurer à chaque élève un enseignement adapté à sa personnalité. Cet enseignement personnalisé était déjà prévu par EVM. Chacun voit que le nombre des élèves et les charges actuelles des enseignants le rendent rigoureusement impossible. La Nation avait à l’époque dénoncé ce «préceptorat de masse» comme une contradiction pédagogique et une arnaque politique.

L’école de grand-papa, au contraire, n’hésitait pas à prendre l’enfant «en situation». Pour elle, l’influence du milieu familial ne représentait pas un élément adventice à négliger. C’était une partie constitutive de la personnalité de l’enfant, qu’elle modelait en profondeur sur les plans affectif, moral et intellectuel.

Les inégalités sociales étaient moins qu’aujourd’hui considérées comme injustes, et l’école de grand-papa ne cherchait pas à les supprimer. En revanche, elle les compensait dans une mesure importante par un enseignement systématique et structuré, mais aussi en offrant à tous les élèves une ouverture sur le meilleur, notamment, pour ce qui est de l’école vaudoise, en matière de littérature.

Dans l’école des réformateurs, toute référence à une norme d’excellence extérieure est considérée comme parasitaire. C’est l’enfant lui-même qui est la norme. On retrouve ici l’idéologie de «l’enfant au centre». Le français des récréations, et même celui des rues, estiment les penseurs de la réforme, vaut bien celui des livres. Cette obsession égalitaire a surtout pour effet de priver les enfants issus de milieux défavorisés de ces compléments que lui fournissait abondamment l’école de grand-papa. Laquelle se révèle en fin de compte plus égalitaire que celle des réformateurs. Dans le même ordre d’idée, La Nation a plus d’une fois dénoncé le fait que l’égalitarisme forcené des réformateurs contribuait à dévaloriser les formations et les activités non universitaires, ce qui est une manière d’accroître les inégalités sociales.

Certes, l’école de grand-papa accordait elle aussi plus de prestige aux professions universitaires qu’aux métiers. C’est en fait assez normal, l’école développant en premier lieu les facultés intellectuelles. Mais cette hiérarchie était relativisée par le fait que la différenciation des structures était précoce et poussée jusque dans ses dernières conséquences: les méthodes étaient différentes, la formation des maîtres était spécifique, les bâtiments étaient séparés. Cela permettait à chaque type de formation de croître à sa manière, de cultiver un style, de développer une identité propre. La voie qui conduisait aux apprentissages n’apparaissait pas comme une voie intellectuelle qu’on aurait simplement écrémée et raccourcie, à l’image de la VSO actuelle, lourde de toutes les craintes et de toutes les désillusions. C’était une voie conçue tout exprès dans la perspective de l’apprentissage. On y entrait par choix, non par défaut.

L’école de grand-papa différenciait les structures scolaires en fonction des débouchés professionnels, c’est-à-dire de la vie après l’école. L’école des réformateurs, à l’inverse, unifie aveuglément les structures en fonction de buts internes à l’école, «un bac pour tous», «égalité des chances d’aller à l’université», etc., sans trop se préoccuper des attentes des futurs employeurs.

Quand nous opposons «l’école de grand-papa» et «l’école des réformateurs», nous opposons en fait une école qui existe et une école qui n’existe pas. L’école des réformateurs n’a jamais existé et n’existera jamais, sinon dans les fantasmes des réformateurs. En ce sens, ceux-ci n’ont pas tort de dénoncer l’actuelle EVM, censée pourtant incarner leurs principes, comme une «école de grand-papa».

Car il n’existe en réalité qu’une seule école, l’école de grand-papa, qui fut encore celle de son fils et qui est toujours celle de ses petits-enfants, mais disloquée par cinquante ans de réformes exténuantes et sans lendemain.

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