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Séminaire 2010: Le paysan et le Pays - Soirée conclusive

Cosette Benoit
La Nation n° 1885 26 mars 2010
Le séminaire annuel de la Ligue vaudoise s’est terminé avec brio. Les deux orateurs de la dernière soirée se sont attaqués à l’ALEA (Accord de libre-échange agricole). Il y a quatre ans, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a proposé cet accord en vue de l’ouverture des marchés entre notre Confédération et l’Union européenne dans le domaine agricole. La FENACO, entreprise coopérative chargée d’approvisionner l’agriculture et d’écouler une partie de ses produits (notamment dans ses magasins Landi et ses stations Agrola), a tout de suite pris position contre ce projet et c’est son directeur, M. Willy Gehriger, qui a introduit la soirée en nous exposant précisément la situation.

L’ALEA, une grave menace pour l’agriculture Suisse

Avant d’entrer dans le vif du sujet, notre conférencier balaye quelques idées reçues. Tout d’abord celle d’une agriculture suisse retranchée derrière ses frontières. Selon les chiffres de l’OMC, la Suisse est le pays où les importations alimentaires nettes par habitant sont les plus élevées au monde (juste avant le Japon). Le mythe des irréductibles Helvètes qui s’acharnent à empêcher l’ouverture du marché est démenti. C’est ensuite au tour de l’îlot de cherté d’être mis à mal: un graphique comparatif concernant les dépenses du ménage montre que le panier de la ménagère suisse réserve une moindre part à l’alimentation que celui des ménagères françaises, italiennes ou allemandes. Sur la base de ce constat, nous voyons donc que les prix des produits alimentaires en Suisse ne sont pas démesurément élevés. S’ils paraissent chers lorsqu’ils sont comparés aux prix des pays avoisinants, c’est parce que notre pouvoir d’achat est bien supérieur à celui des autres pays européens. Si un accord de libre-échange est conclu entre notre Confédération et l’UE, il sera difficile d’exporter nos produits à cause de nos prix élevés en fonction du pouvoir d’achat.

M. Gehriger s’est appliqué à dénoncer le manque d’équité auquel nous devrons faire face si nous posons naïvement nos pions sur le grand plateau de jeu du libre-échange, car les règles ne seront pas les mêmes pour tout le monde. Abordons le problème des coûts de production: un accord de libre-échange ajusterait certaines dépenses en diminuant les coûts directement liés au secteur agricole (alimentation du bétail, engrais, semences, etc.) mais ne suffirait pas à établir des conditions équitables car les dépenses les plus importantes relatives à la construction, à l’entretien des bâtiments et des machines, au paiement des salaires des ouvriers et à l’énergie ne changeraient pas. Une comparaison entre une exploitation agricole suisse et une exploitation similaire en Bavière montre que les coûts de production suisses resteraient supérieurs de 2000 francs à l’hectare après la réduction des coûts que prévoit l’ALEA. On observe le même phénomène au niveau de l’industrie alimentaire. Il est beaucoup plus cher de produire en Suisse car le prix du terrain, ainsi que les frais de stock et d’emballage, sont très élevés. Par ailleurs, nos concurrents de l’UE reçoivent d’importantes subventions de Bruxelles en plus des subventions versées par leur gouvernement national. Nous voyons là encore que nous ne nous battrons pas à armes égales. L’accord de libre-échange entraînera nécessairement la disparition de certaines branches de l’industrie alimentaire. Nos agriculteurs seront aussi pénalisés en ce qui concerne les méthodes de production car les exigences de l’agriculture durable (respect de l’environnement et des animaux, diminution des engrais et des insecticides, etc.) sont plus élevées en Suisse que chez nos voisins européens.

L’ALEA menace directement certains de nos produits, notamment sur le marché de la viande (qui représente un quart de la production agricole). Le prix du bétail de boucherie étant sensiblement inférieur dans les autres pays de l’UE, comment ferons-nous pour exporter nos produits avec nos prix? Même les citoyens suisses n’en voudront plus! Il est évident que le libre-échange nous fera perdre des marchés importants nous forçant ainsi à augmenter les importations. Les agriculteurs suisses devraient alors compenser ces quantités importantes de produits importés par des exportations. Confortablement installés derrière leur bureau, les théoriciens préconisent de se concentrer sur des produits premium afin d’être compétitif. Le principe de base qu’ils semblent pourtant ignorer est que l’agriculture ne fonctionne pas comme l’industrie; on ne peut pas produire des pommes de qualité premium comme on fabrique des montres de luxe. Pour un petit pourcentage de produits de première qualité, il y aura toujours un plus grand pourcentage de produits de moindre qualité et des déchets. Comment réussir à écouler le tout sans perte? Le problème n’est pas résolu!

Même si l’ALEA paraît alléchant au niveau commercial, il est indéniable qu’il sera négatif pour nos agriculteurs. L’agriculture est un marché dont les règles varient d’une région à l’autre et des accords à trop grande échelle mènent vers des inégalités évidentes. Beaucoup de produits suisses ne seront pas suffisamment concurrentiels et nous perdrons de nombreux marchés. Le but de l’ouverture des marchés est évidemment la spécialisation; il faut que chaque pays produise ce qu’il sait le mieux produire. Mais gare au danger de la monoculture qui crée un déséquilibre écologique, économique et politique! Pourquoi renoncer à exploiter toutes les capacités de production en se spécialisant alors qu’on ne cesse de nous répéter que la population de la terre augmente et que les ressources seront bientôt insuffisantes pour tous? Même si la valeur ajoutée est minime, nous continuerons tout de même à produire de la nourriture. Et M. Gehriger de conclure avec Brecht: Zuerst das Fressen, dann die Moralität.

Le pays a besoin de paysans

C’est à Olivier Delacrétaz, qu’il incombe de prononcer les mots de conclusion du séminaire annuel de la Ligue vaudoise. Il introduit son discours en évoquant ses souvenirs d’enfance chez son oncle paysan pour lequel il avait une immense admiration. Il considérait alors le paysan comme le centre du monde. Marquant une légère pause, notre orateur admet que l’expérience et les années ne lui ont pas fait changer d’avis. Le paysan joue un rôle fondamental d’intermédiaire entre la population et le territoire. Il s’attache à sa terre qui est à la fois objet de son labeur et source de richesses. Son action est comparable à l’action politique, elle est faite pour durer et aura un impact dans le temps. Maillon d’une longue chaîne, le paysan ne fait que passer: il reprend un domaine qu’on lui laisse et qu’il devra maintenir et faire prospérer pour le remettre entre les mains du prochain propriétaire de l’exploitation.

Pour revenir sur les principaux éléments évoqués durant les conférences précédentes, M. Delacrétaz articule son discours autour de trois principes: le sol du pays doit être cultivé; le paysan doit vivre des fruits de son travail; les frontières politiques dessinent le cadre ordinaire de la concurrence agricole. Premièrement donc, il est bon que l’homme extraie de la terre ce qu’elle peut produire plutôt que de la laisser à l’abandon. Puisque du sol jailliront nécessairement des plantes, autant les cultiver intelligemment et permettre ainsi l’entretien du milieu naturel. Dès les premiers chapitres de la Bible, Dieu assigne à l’homme un rôle de cultivateur1. Le travail de la terre répond directement à la nécessité que l’homme a de se nourrir.

Le deuxième principe répond au besoin de reconnaissance et de rémunération pour le travail fourni. C’est une facette essentielle de la dignité humaine et un stimulant important à la base de toute activité. Il est prudent de conserver une paysannerie suffisante pour servir «d’assurance nourriture». Le travail bien mené de ceux qui cultivent fidèlement le pays inspire un agréable sentiment de beauté et d’ordre et mérite d’être rémunéré.

Concernant la question de la concurrence agricole, M. Delacrétaz marque une différence entre le protectionnisme idéologique et la notion de protection. Il ne s’agit pas de se replier sur soi pour se protéger de toute compétition jusqu’à l’asphyxie, mais plutôt de savoir mettre des protections là où il faut avant d’être englouti par l’adversaire. Limiter les effets néfastes de la concurrence ne revient pas à l’éradiquer complètement, car si elle est bien dosée, elle pousse le travailleur à donner le meilleur de lui-même (elle produit alors son effet émulateur).

Nous l’avons compris, l’état des lieux de l’agriculture suisse n’est pas des plus réjouissants. Le sol n’est plus cultivé avec autant de soin et de plus en plus de terrains sont laissés à l’abandon. La paysannerie se fragilise, serrée dans l’étau de l’internationalisme, du mondialisme, de l’écologie et de la technocratie. Le paysan d’aujourd’hui doit faire appel à son imagination pour se diversifier et multiplier les activités annexes puisque le travail nécessaire au maintien de son exploitation ne suffit plus pour joindre les deux bouts. Au lieu d’ajuster les prix des produits agricoles afin qu’ils couvrent au mieux les frais de production, on se contente de verser des subventions aux paysans et on continue de vendre leur marchandise à bas prix. Ne recevant plus un salaire correct pour son travail, le paysan connaît l’humiliation de vivre à charge de l’Etat. Le dernier constat n’est pas plus encourageant; comme vient le confirmer l’ALEA, nos autorités politiques travaillent de toutes leurs forces à détruire les rares vestiges de frontière qui demeurent.

Mais n’en restons pas là! M. Delacrétaz nous appelle à l’action: si chacun joue son rôle, il est encore temps de sauver l’agriculture suisse. Il appelle les responsables de la politique étrangère à renoncer à traiter le marché agricole en fonction des règles du commerce international. Quant à nos autorités fédérales et cantonales, elles doivent permettre au paysan de vivre du fruit de son travail plutôt que de l’étouffer sous des subventions et des exigences exagérées. Le consommateur peut aussi se montrer solidaire en agissant comme si les frontières étaient encore solides et apprendre à consommer en priorité les produits de sa région. Les paysans doivent faire entendre une voix claire et puissante en se liguant pour défendre leurs intérêts. Les associations paysannes peuvent, elles, travailler à convaincre nos députés de ne pas suivre Mme Leuthard concernant l’accord de libre-échange avec l’UE. Après l’humiliante gifle du Cassis-de-Dijon, la Ligue vaudoise se promet de redoubler d’efforts pour lutter contre l’ALEA. Vous aurez l’occasion d’en lire davantage dans nos colonnes.


NOTES:

1 L’Eternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder. (Genèse ch. 2 v. 15)

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