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Six semaines de vacances obligatoires

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1933 27 janvier 2012

L’article 110 de la Constitution fédérale est consacré au travail. Le 11 mars, nous voterons sur une initiative du syndicat Travail.suisse qui propose d’y ajouter l’alinéa suivant: Tous les travailleurs ont droit à des vacances payées de six semaines par an au minimum. Par «travailleur», le texte veut dire «employé». Les patrons et les indépendants ne travaillent pas, c’est bien connu.

Le motif invoqué est que les relations dans le monde du travail sont plus dures que naguère: concurrence accrue entre les entreprises et à l’intérieur de celles-ci, accroissement de la charge du travail, instabilité des emplois. Cette évolution engendre le stress, l’épuisement et la dépression, sans parler d’un absentéisme coûteux pour l’économie.

Tout n’est pas faux dans cette description. Mais tout est disproportionné et donne une image biaisée de la réalité.

L’initiative présente trois défauts. Le premier, qui touchera surtout les juristes, est que la durée des vacances n’est pas un sujet de rang constitutionnel. Le deuxième est que le recours à la loi court-circuite le régime des conventions collectives. Le dernier est circonstanciel: une augmentation générale des vacances n’est pas vraiment la bonne réponse aux problèmes économiques actuels.

Reprenons. En soi, il n’y a aucun problème à ce que des employés jouissent de six semaines de vacances si les syndicats et les patrons concernés sont tombés d’accord sur ce point. La durée des vacances n’est pas une question de principe. Et précisément parce qu’elle n’est pas une question de principe, elle n’a rien à faire dans la Constitution fédérale. La Constitution a pour fonction principale de formaliser les relations stables qui structurent la Confédération et les grands principes qui orientent perpétuellement son action. Comme il n’y a d’initiative que constitutionnelle, on pourrait sans doute imaginer qu’une menace gravissime pesant sur les souverainetés cantonales ou l’indépendance de la Suisse impose le lancement d’une initiative sur un sujet de rang législatif. Mais dans le cours normal des choses, c’est le cas en l’occurrence, la Constitution ne doit pas être utilisée comme un simple levier de pouvoir pour imposer un point de vue partisan.

Dans notre régime de négociations paritaires et de conventions collectives, les représentants des employés et des patrons débattent non en termes d’affrontement d’idées générales, mais en fonction de situations concrètes. Les débats débouchent sur des accords différenciés selon la branche, selon les conditions de travail, selon aussi la capacité des négociateurs. Cette volonté de rester réaliste et d’aboutir à un accord acceptable par les deux parties est infiniment plus adéquate pour aborder les questions économiques que le système rigide de l’étatisme à la française. Pensons aux problèmes, pas encore surmontés dix ans après, qu’a posés le passage aux trente-cinq heures!

Les milieux syndicaux qui ont lancé cette initiative agissent contre leur propre nature. Chaque fois qu’une question sociale est dévolue à l’Etat, ils perdent sans espoir de retour une partie de leur champ d’action et, par conséquent, de leur raison d’être. Au bout de cette évolution, on entrevoit la silhouette du fonctionnaire syndical, les relations de travail étouffées par des normes administratives inamovibles et, pour le surplus, le retour de la rhétorique de la lutte des classes.

L’utilisation de la contrainte de la loi dans un régime de conventions collectives est d’abord un aveu d’incompétence: «La réalité économique est trop complexe, trop mouvante, réfugions-nous dans l’idéologie simplificatrice et rassurante!» C’est aussi une déloyauté à l’égard du partenaire social: «Faute de pouvoir vous convaincre, nous allons vous contraindre.»

Nous disions plus haut que les auteurs de l’initiative ne tiennent pas compte des problèmes actuels. Il serait plus exact de dire qu’ils en tiennent excessivement compte quant aux employés et pas du tout quant aux patrons et aux entreprises. Ils font l’impasse sur le fait que les uns et les autres sont sur le même bateau social et ballottés par les mêmes vagues économiques. Ils ne se préoccupent d’ailleurs ni du bateau ni des vagues, juste de leur propre conformité idéologique.

L’argumentaire dénonce comme une injustice le fait que le Code des obligations, qui prévoit un minimum de quatre semaines de vacances payées, n’a pas bougé depuis vingt-cinq ans. L’argument repose sur la conviction implicite que nous progressons nécessairement vers un monde d’harmonie où l’on travaillera moins tout en gagnant plus. Pour ceux qui ne partagent pas cette mystique du Progrès continu, l’argument se retourne contre ses auteurs: les circonstances s’étant aggravées depuis vingt-cinq ans, il faut rejeter une initiative inadéquate et se préparer à travailler davantage.

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