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L’Avenir des Réformés

Olivier Klunge
La Nation n° 1933 27 janvier 2012

Sous ce titre1, deux sociologues des religions, Jörg Stolz et Edmée Ballif, brossent un panorama de la situation des Eglises réformées en Suisse et des mesures prises par ces dernières pour réagir à la désaffection actuelle dont elles sont l’objet. Cet ouvrage fonde ses constats sur plusieurs enquêtes et sondages existants et sur des entretiens entre les auteurs et des responsables ecclésiaux. S’agissant d’une méta-analyse, les risques des études sociologiques sont multipliés: des données récoltées par des méthodes très différentes sont comparées, les données brutes alimentant les statistiques ne sont pas publiées dans l’ouvrage, les données à disposition sont partielles et n’ont pas fait l’objet de récolte systématique. Enfin, malgré la volonté d’objectivité des auteurs, le biais subjectif transparaît.

Malgré ces critiques, l’ouvrage, facilement accessible au profane, n’est pas dépourvu d’intérêt. Il rend compte de certaines évolutions sociologiques qui influencent fortement la fréquentation et la place des Eglises dans la société contemporaine et présente certaines réactions d’Eglises réformées, particulièrement alémaniques, qui donnent des pistes à suivre… ou pas!

La présente recension assume pleinement son caractère subjectif et ne présente que quelques morceaux choisis. Par exemple, nous ne nous étendrons pas sur les évolutions sociologiques lourdes (individualisation, défiance envers les institutions et remise en cause des valeurs, pluralisation religieuse) qui affectent profondément les Eglises réformées, en particulier dans les cantons où elles étaient majoritaires, il y a quelques décennies encore.

Nous avons été intéressé de voir que plusieurs études faisaient ressortir un clivage entre pasteurs et fidèles. Une étude alémanique (citée pp. 55 ss) montre que les personnes fréquentant le culte proviennent très largement de milieux aux valeurs traditionnelles, alors que les pasteurs sont plutôt «postmodernes». Il en résulte une inadéquation entre les attentes des fidèles envers les pasteurs (comportement et accent sur les activités traditionnelles du ministère) et les aspirations des ministres (remise en cause des traditions).

Les Eglises réformées ne sont que peu visibles dans l’espace public (pour 52% de personnes interrogées). Les pasteurs semblent moins optimistes puisqu’ils sont 82% à trouver l’Eglise pas ou peu visible (étude en Suisse allemande, p. 91). Les auteurs insistent sur le fait que le profil des Eglises protestantes est trop peu marqué. Par exemple, il est symptomatique que la forme d’adresse prédominante dans les campagnes de communication réformées est la question (p. 168): les Eglises ne disent pas ce à quoi elles croient; elles demandent aux gens ce à quoi ils croient!

En particulier, dans leurs actions sociales et diaconales, les réformés ne présentent pas en quoi leur action est le fruit de leur foi (par manque d’intégration dans la vie paroissiale, par volonté de délaisser ou minimiser l’enracinement chrétien face à la concurrence d’autres organisations caritatives). Il en ressort qu’une part importante des investissements (financiers et humains) des Eglises ne leur profite nullement en termes de renommée (pp. 108 ss).

Il est par ailleurs particulièrement piquant de lire le constat d’un auteur alémanique (cité en p. 148) qui affirme que la résistance des pasteurs peut constituer un obstacle au développement de l’attrait des paroisses: «Si l’on veut atteindre durablement, par les cultes, de nouvelles catégories de personnes, il faut y consacrer plus de moyens financiers et de temps. Pour le collaborateur de l’Eglise, l’augmentation de la demande signifie une augmentation de sa charge de travail, sans indemnisation.»

La première mesure des Eglises pour réagir à cette situation sociologique dramatique doit être d’engager une réflexion sur les caractéristiques essentielles des Eglises réformées (p. 119). Ce constat rejoint pleinement la critique posée par Pierre Glardon et Eric Fuchs2 qui insistent fortement sur le fait que les Eglises ne peuvent se contenter de faire de l’événementiel et doivent urgemment clarifier leurs convictions profondes aux niveaux éthique et spirituel. Les membres des Eglises réformées ont aussi leur part de responsabilité dans les déboires que ces Eglises connaissent. On ne peut rejeter toute la faute sur des évolutions sociétales.

En particulier, il faut réaffirmer le culte comme élément central de la vie de l’Eglise (p. 140) en mettant l’accent sur les caractéristiques liturgiques réformées: en s’ouvrant à tout et n’importe quoi, on ne peut plus reconnaître dans le culte les formes élémentaires de la célébration réformée et c’est alors non seulement l’identité de la manifestation, mais celle de la communauté qui s’effrite (p. 145).

Un autre constat instructif concerne les attentes par rapport au culte. Selon une étude bâloise (citée p. 85), les réformés cherchent avant tout le ressourcement (48%), le soutien qu’apporte la communauté (36%), une rencontre avec Dieu (31%), mais seulement 21% (8e position) souhaitent acquérir une meilleure compréhension de la Bible. Comment cela s’accorde- t-il avec la place souvent prépondérante de la prédication exégétique dans nos cultes et la portion congrue de la Cène eucharistique?

Si les auteurs sont réservés sur les fusions de paroisses (p. 182), souvent mal préparées et imposées «d’en-haut», ils présentent l’ouverture du libre choix de leur paroisse par les fidèles comme une voie pour dynamiser les Eglises (voie contestée car impliquant l’abandon au moins partiel du principe de territorialité). Le libre choix élargit le cercle du recrutement des bénévoles et permet à un fidèle déçu de sa paroisse de s’affilier à une autre plutôt que de quitter l’Eglise (p. 185).

La lecture de cet ouvrage nous incite à porter trois conclusions personnelles. La place des Eglises réformées dans la société a subi des mutations extrêmement importantes et rapides, dues à des évolutions sociologiques dans la population, mais également chez les pasteurs. Il s’agit aujourd’hui d’en prendre acte, sans toutefois ni dramatiser la situation présente, ni embellir le bon vieux temps, ni occulter la part de responsabilité des autorités ecclésiales dans ce processus.

Dans cette situation dramatique, l’Eglise doit réagir et elle en a les moyens. Cependant, toute démarche purement marketing ne peut porter de fruit. Ce type de démarche, utile, doit s’accompagner d’un travail de fond, tant au niveau des Eglises (cantonales et Fédération des Eglises protestantes de Suisse, FEPS) que des paroisses, visant à clarifier les fondements de la foi, de l’éthique, de la liturgie et de l’ecclésiologie des réformés. En d’autres termes, l’Eglise doit d’abord clarifier ce qui constitue le coeur de son message, ce qui constitue sa spécificité: elle doit (se) rappeler les éléments essentiels du culte, son but et sa forme essentielle, au-delà des adaptations aux temps et aux lieux; elle doit être claire sur ses structures institutionnelles, ses processus de décision et sur la place qu’ont, dans sa vie, les ministères (pastoral et diaconal) et les laïcs (professionnels, bénévoles et fidèles). L’Eglise réformée vaudoise (EERV) a déjà entamé ce processus (par exemple les principes constitutifs), il reste encore beaucoup de chemin à faire et cela implique d’accepter de faire des choix et d’affirmer sa foi; deux vertus qui ne sont pas l’apanage du caractère vaudois!

Si nous nous arrêtions à ces considérations sociologiques et humaines, nous serions certainement découragés et inquiets pour l’avenir des réformés. Rappelons- nous que c’est Christ qui est la tête et le fondement de l’Eglise et qu’Il nous donne l’assurance qu’elle surmontera toutes les épreuves (elle en a d’ailleurs vu d’autres…) jusqu’à la fin du monde. Notre confiance placée dans le Christ et son Eglise nous donne le courage et la responsabilité de combattre pour l’Eglise réformée vaudoise qui en est l’expression pour nous ici et maintenant, tout en sachant que la forme et l’organisation actuelles de l’EERV ne sont pas inscrites pour l’éternité et que nous devons accepter et travailler à son évolution (semper reformanda) pour autant qu’elle reste fidèle à la mission reçue de son fondateur.

 

NOTES :

1 Ed. Labor et Fides, 2011, 250 p.

2 Turbulences, Ed. Ouverture, 2011, pp. 18, 34, 83 et 98. Nous reviendrons sur cet excellent ouvrage dans un prochain article.

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