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Le combat continue

Ernest Jomini
La Nation n° 1935 24 février 2012

La question jurassienne n’est pas résolue. Pour être exactement renseigné sur la situation actuelle, nous ne pouvions trouver meilleur informateur que M. Alain Charpilloz, de Bévilard (Jurasud), notre conférencier du mercredi 8 février. On connaît de longue date les qualités de notre invité, engagé dès sa jeunesse dans le mouvement autonomiste, rédacteur régulier au Jura Libre. Sa perspicacité politique et son humour donnent toujours du piquant à ses analyses connues de tous nos lecteurs grâce aux extraits de la «Revue de presse».

Voici trente-quatre ans que la République et Canton du Jura est entrée en souveraineté et que la partie sud de la patrie jurassienne est demeurée bernoise. L’unité séculaire de l’ancien Jura épiscopal a été brisée. Selon Roland Béguelin, le nouvel Etat confédéré devait être un «Etat de combat» qui harcèlerait sans cesse le pouvoir bernois et obtiendrait ainsi la restauration de l’unité perdue. Ce ne fut guère le cas. Le Canton du Jura est devenu très vite un canton comme les autres. Comment s’en étonner? La démocratie électorale et les divisions partisanes ne sont pas le terreau propice à la naissance d’un «Etat de combat».

Autre élément nouveau: le gouvernement bernois a changé depuis l’époque héroïque qui aboutit aux plébiscites de 1974-75. Alors que sa stupidité politique avait largement contribué à donner de l’élan aux revendications autonomistes, le choc créé par «l’affaire des caisses noires» a été tel que les autorités politiques de l’ancien Canton agissent maintenant habilement dans la partie du Jura qu’ils ont conservée.

Enfin, la situation politique suisse a beaucoup évolué en trente ans. La souveraineté cantonale s’est affaiblie et l’administration fédérale a étendu son pouvoir. Beaucoup de gens sont devenus en quelque sorte des déracinés pour lesquels la patrie cantonale et la commune d’origine n’ont plus guère de signification. Ils se disent tout simplement «Suisses», affichant au mieux un patriotisme helvétique aussi superficiel qu’artificiel. Pour ces gens-là: à quoi bon changer les frontières cantonales?

L’Assemblée Interjurassienne (AIJ) instituée par la Confédération en accord avec Berne et le Jura pour résoudre le conflit jurassien a maintenant remis son rapport. On se dirige vers un nouveau plébiscite. Sera-ce en 2013? Des sous-plébiscites comme en 1975 permettront à certaines communes, la ville de Moutier en particulier, de rejoindre le Canton du Jura. La question jurassienne n’est pas près d’être résolue et nos amis Jurassiens ont du pain sur la planche.

Au temps des luttes héroïques qui ont précédé le vote victorieux de 1974, nous, membres de la Ligue vaudoise, avons souvent envié nos confédérés jurassiens qui rassemblaient des foules enthousiastes; les Béliers imaginaient des manifs humoristiques destinées à encrasser le gouvernement bernois et à mettre les rieurs de leurs côtés. Que nos moyens et nos actions paraissaient modestes et ternes face à ces coups d’éclats! Maintenant le combat des Jurassiens ressemble au nôtre. Il s’inscrit dans la durée, est fait de patiente détermination. En huitante ans d’existence, la Ligue Vaudoise a connu quelques succès notoires et aussi plusieurs échecs. Mais elle est toujours là, elle est devenue un élément de la vie et de l’histoire vaudoises, même si ses objectifs politiques sont loin d’être atteints.

Il est toujours utile de méditer sur la tentative de Davel de renverser le régime bernois en 1723, tentative politiquement insensée et vouée à l’échec. «Je serai la victime de cette affaire, mais qu’importe, il en adviendra quelque bien pour mon pays» déclarait le major au moment de son arrestation. Il n’avait pas tort. Ses contemporains ont vu dans son geste un coup de folie. Mais les artisans de l’indépendance en 1798 se réclameront de Davel, même s’ils voyaient en lui, à tort, un précurseur des idées révolutionnaires. Beaucoup de Vaudois depuis deux-cents ans ont trouvé en Davel une inspiration à leur action politique, y compris ces tout derniers jours un actuel candidat au Conseil d’Etat. En 1923, de grandes fêtes furent célébrées pour le deuxième centenaire de la mort du major. Le discours de C. F. Ramuz sur la place d’armes de Cully est resté dans les mémoires, ponctué par l’antienne: «On lui a coupé la tête, et nous n’avons rien dit.» Qui dira l’influence de ces fêtes sur les trois jouvenceaux Regamey, Morel et de Gautard qui commençaient à poser les fondements du Mouvement de la Renaissance vaudoise? Aujourd’hui encore nous avons l’heureuse surprise de constater que les classes d’enfants et d’adolescents qui font avec nous la visite de Lausanne et qui ignorent tout de l’histoire vaudoise écoutent avec un vif intérêt l’histoire du major devant le tableau du peintre Clément dans l’escalier de l’Hôtel de Ville. Davel est entré dans l’histoire, et ce n’est pas rien.

Même si les plébiscites prochains ne consacrent pas maintenant le triomphe de leur cause, nos amis jurassiens n’ont pas à se décourager. Il ne faut pas mesurer les actions politiques à l’échelle d’une vie humaine. Les Jurassiens qui, dès le rattachement de leur patrie à Berne en 1815 et au cours des années suivantes, ont résisté à leurs nouveaux maîtres et réclamé à plusieurs reprises l’indépendance du Jura n’avaient à vues humaines rien obtenu. Leur effort politique était cependant devenu une partie de l’histoire jurassienne et préparait sans qu’ils le sachent le réveil de 1947. La victoire ne sera peut-être pas pour 2013. Mais la permanence du combat permettra le moment venu d’atteindre le but: la réunification du Jura.

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