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Trop beau pour être vrai

Jacques Perrin
La Nation n° 1935 24 février 2012

Le dernier film du cinéaste canadien David Cronenberg s’appelle A Dangerous Method. La méthode dangereuse, c’est la psychanalyse. Le film raconte le développement de cette pratique thérapeutique et les débats théoriques auxquels elle donne lieu, notamment entre le Viennois Sigmund Freud et le Zurichois Carl Gustav Jung. Jung tente de soigner une jeune Russe, Sabina Spielrein, atteinte d’hystérie, issue d’une famille juive aisée de Rostov-sur-le- Don. Il s’attache tellement à sa patiente qu’il a une relation avec elle, ce que la psychanalyse et la morale réprouvent (Jung est marié et père de deux enfants). Il demande alors conseil auprès de Freud. Les deux hommes sympathisent et font ensemble un voyage en Amérique où Freud prononce la fameuse phrase: «Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste.» Puis Jung développe ses propres théories, moins centrées sur la sexualité, et rompt avec le Viennois. On croise aussi dans le film le psychiatre Otto Gross, traité par Jung dans la clinique du Burghölzli, qui prône la libération sexuelle.

Les traitements psychiatriques concernent de plus en plus de gens dans les sociétés occidentales. Le film présente donc un certain intérêt d’autant plus qu’il émane d’un cinéaste estimable qui a déjà traité de la maladie psychique dans l’excellent Spider. Il faut reconnaître que le film se laisse voir. Le contraste entre la névrose accablant une partie de la bourgeoisie du début du xxe siècle et la soif de liberté manifestée par certains individus est manifeste. L’aspect religieux n’est pas passé sous silence. Freud désirait au début que Jung, protestant et «aryen», soit son plus proche collaborateur afin que la psychanalyse n’apparaisse pas comme une affaire juive. Puis leurs relations s’enveniment pour des raisons que le film laisse entrevoir et Freud finit par dire à Sabina Spielrein: «Rappelez-vous bien que nous sommes juifs!»

Seulement notre intérêt rencontre un obstacle inattendu. Le film est trop beau, noyé dans une esthétique hollywoodienne si prononcée que le spectateur se détourne du corps de l’histoire pour admirer les détails. Les acteurs, vedettes internationales confirmées comme Viggo Mortensen (Freud) et Vincent Cassel (Otto Gross), ou en pleine ascension comme Keira Knightley (Sabina) et Michael Fassbender (Jung), sont tous très bons, mais on a l’habitude de les voir dans des thrillers ou des comédies sentimentales. Les maquilleurs rehaussent encore leur plastique. Dans la vraie vie, Sabina ne passait pas pour une beauté, on qualifiait simplement son regard de «sensuel». Keira Knightley joue bien les hystériques avec des mouvements de mâchoire inquiétants, mais sa denture immaculée fait… tache. Dans le film, il fait toujours beau, les paysages du bord du lac de Zurich sont splendides, Vienne et Schönbrunn baignés de soleil, les intérieurs somptueux, le Burghölzli est idyllique. La musique nous envoûte, composée par le sorcier Howard Shore, sur des thèmes de la Siegfried Idyll de Wagner interprétée au piano par Lang Lang.

Bref la magie hollywoodienne et l’esthétique californienne nous éloignent de la «méthode dangereuse». C’est une expérience surprenante de dissociation du beau et du vrai.

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