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M. Guéant et les contradictions de l’égalité

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1935 24 février 2012

M. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur français, a déclaré: Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation.

Cette déclaration a bouleversé d’indignation la gauche, la presse et même plus d’un membre de son propre parti. On a parlé de racisme et de nazisme.

La question de la supériorité d’une civilisation sur les autres a-t-elle un sens? Toute civilisation en état de marche sait qu’elle est la seule civilisation digne de ce nom. Elle constate qu’elle est entourée de barbares qui la menacent et qu’elle doit écraser, convertir ou tenir à distance. C’est quand elle ne croit plus en elle-même qu’elle commence à demander au Persan de Montesquieu, au Huron de Voltaire ou à Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa1, ces bons sauvages si perspicaces, de comparer notre sagesse rabougrie à la leur, épanouie.

Pouvons-nous hiérarchiser les civilisations sans recourir aux critères de la nôtre propre, ce qui rend le jeu assez inutile mais nous assure une place au sommet? En d’autres termes, est-il possible de déterminer avec certitude des critères universellement valables? J’entends par là des critères tels que toute civilisation les reconnaîtrait, au-dessus des siens propres, comme universellement valables?

Une journaliste de la télévision suggérait que ces critères universellement valables pourraient être les droits de l’homme.

De fait, si on relit la citation liminaire de M. Guéant, c’est très exactement l’idée qu’il défend, ce qui met en relief l’absurdité de cette polémique. Les propos du ministre sont d’un conformisme absolu. Il dit ce que tout le monde pense: la supériorité des droits de l’homme sur toute autre conception du droit et la supériorité de la démocratie parlementaire sur tous les autres systèmes politiques font de la civilisation occidentale une civilisation supérieure et justifient, aux yeux de la gauche comme de la droite, ses incessantes ingérences économiques, politiques voire militaires dans le monde entier.

L’idée est que les droits de l’homme, s’ils contraignent les civilisations non européennes à en finir avec les mutilations intimes, les mariages forcés, la mise à mort rituelle des parents trop vieux, l’esclavage, la polygamie, n’empêchent pas ces civilisations de conserver l’essentiel de leurs particularités.

Nous croyons que c’est une erreur. La plupart de ces mœurs n’expriment pas les déviances extrémistes d’un clergé sectaire ou d’un dictateur fou. Elles sont enracinées dans la religion et l’histoire des sociétés qui les pratiquent. Quoi qu’on en pense, elles sont constitutives de leur être. Du point de vue des droits de l’homme, il n’est donc pas insensé de conclure que ces civilisations sont inférieures.

Nous nous trouvons ainsi dans un cercle vicieusement contradictoire. On part du dogme de l’égalité des individus; on en déduit l’égalité des civilisations; mais on en déduit aussi l’infériorité des civilisations qui ne reconnaissent pas le dogme; cette déduction-là entraîne logiquement l’infériorité des individus qui s’en réclament… ce qui met en cause le dogme.

Egalité des individus, égalité des civilisations, les deux affirmations constituent un argument à bascule qui permet de faire la leçon aussi bien à celui qui cautionne n’importe quelle coutume au nom de l’égalité des civilisations, qu’à celui qui place la civilisation des droits de l’homme au-dessus des autres.

C’est dire que ce débat de relève pas de la philosophie, mais du combat électoral. Celui qui a raison est celui qui monte à l’assaut le premier, celui qui parle le plus fort et reçoit l’écho le plus favorable des médias. M. Guéant a récupéré les droits de l’homme avant les autres partis. C’est pour cela qu’il est haï. Il a pris une option sur les votes frontistes… et sur le vote de tous les Français qui savent bien, eux, que droits de l’homme ou pas, leur civilisation est supérieure aux autres.

 

NOTES:

1 Erich Scheurmann, Le Papalagui, Présence image éditions, Benaix, 2001.

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