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Berne, New-York, Alep: tombes de la neutralité

Félicien Monnier
La Nation n° 1951 5 octobre 2012

La politique internationale est difficile à analyser. Ses acteurs sont nombreux et très différents. La vue d’ensemble est en outre presque impossible à acquérir. Des liens raisonnables peuvent tout de même être tissés entre certaines situations.

Le 18 mai 2011, le Conseil fédéral a rendu son «Ordonnance instituant des mesures à l’encontre de la Syrie»1. Il y ordonnait, entre autres, le gel des avoirs et ressources économiques de certaines personnalités syriennes. Cette décision signifie que les valeurs patrimoniales situées en Suisse et appartenant à certains cadres du régime ne peuvent plus être gérées et utilisées au-delà des actes d’administration courante. L’exécutif fédéral interdisait également le commerce à destination de la Syrie de certains biens et services, principalement liés au pétrole ou aux équipements militaires. Il s’agit bien entendu d’affaiblir l’armée et l’économie syriennes, pas d’appauvrir nos entrepreneurs.

Le 8 juin 2012, une nouvelle version de l’ordonnance a été rendue. Elle reprend en substance les considérations de la précédente, en les précisant et les étoffant. Ainsi, le nombre de personnes syriennes concernées par les sanctions (en tête se trouve Bachar al-Assad) passe de 127 à 153, et le nombre d’entreprises de 40 à 53.

L’interdiction d’entrée sur le territoire suisse de ces personnes est confirmée tout comme le gel de leurs avoirs.

Le Conseil fédéral l’affirme lui-même sur le site internet de l’administration fédérale: «La Suisse s’est ainsi ralliée aux sanctions prononcées le 9 mai 2011 par l’Union européenne à l’encontre de Damas.»2

Ces mesures s’inscrivent dans la dynamique diplomatique des pays occidentaux à l’égard de la Syrie. Ceux-ci, la France en premier, font preuve à l’encontre du régime de Bachar al-Assad d’un bellicisme plutôt effrayant. L’obsession du président Hollande à vouloir guerroyer outremer au nom des droits de l’homme est frappante. Il en est même devenu difficile de croire que cette rhétorique humanitaire ne serve pas à dissimuler des objectifs stratégiques importants.

Car le conflit syrien, guerre civile ou répression policière, concentre des enjeux de taille. Ceux-ci dépassent de très loin la simple question des droits de l’homme des insurgés et de la population civile. Les insurmontables vétos russe et chinois opposés au Conseil de sécurité le démontrent; tout comme les circonstances de leur levée dans le cas libyen restent à être éclaircies.

A la dernière Assemblée générale de l’ONU, la Suisse, par la voix de M. Burkalther et de Mme Widmer-Schlumpf, a exhorté l’Assemblée à ce que la Cour pénale internationale se saisisse du cas syrien. Leur but est que les criminels de guerre ayant sévi dans ce conflit soient jugés, quel que soit leur camp. La Présidente de la Confédération affirme qu’une telle mesure est compatible avec la neutralité, parce qu’elle ne concerne que les droits de l’homme et ne prend pas parti.

Nos ministres méconnaissent-ils à ce point les pentes habituelles de la diplomatie onusienne? Il n’y a pourtant pas à douter que Bachar al-Assad, s’il vient à tomber, sera le premier à se retrouver devant les juges de La Haye. Il y sera avec ses généraux, mais il n’y aura aucun insurgé à ses côtés. On ne juge pas ceux qui se sont libérés de l’oppression, même ceux de la pire espèce, djihadistes au premier rang.

Ainsi, ces mesures constituent au moins une violation indirecte de la neutralité helvétique. Admettons à décharge qu’il s’agit d’une violation volontaire mais qui ne s’assume pas. La distinction effectuée par nos ministres entre défense des droits de l’homme et maintien d’une position impartiale n’est valable que sur le papier.

Mais cette violation de la neutralité n’est pas sans portée. Il suffit d’observer les tensions qui se dessinent entre le duo Chine-Russie, anti-interventionnistes, et le bloc occidental, favorable à une intervention internationale en Syrie. Les premiers sont de plus réputés pour fournir Damas en armes, alors que les seconds sont accusés par le régime syrien de fournir des armes aux insurgés-terroristes.

Les récents incidents sino-nippons en mer de Chine ont en outre rappelé au monde que la volonté de puissance n’était pas morte en 1989 à Berlin. Les intérêts de Pékin dans le Pacifique sont ouvertement affichés. Ils sont depuis peu soutenus par la mise à flot du premier porte-avions chinois. Un jeu d’alliance terrifiant pourrait ranger les Américains aux côtés des Japonais dans le conflit territorial des îles Senkaku3. Les conséquences de la mise en œuvre d’une telle association seraient titanesques. En outre, les enjeux d’une opposition Est-Ouest sont affirmés explicitement par MM. Romney et Obama dans leur course à la Maison Blanche.

Enfin, que personne ne pense à s’inquiéter des intérêts militaires et navals russes en Méditerranée – lesquels participent à fonder le véto du président Poutine – est particulièrement préoccupant.

Déjà opposés sur le dossier syrien, Occidentaux et Chinois pourraient se confronter en Asie par le jeu de l’OTAN. D’où que vienne l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, la Suisse est en train de choisir son camp. Le jour où la question du parti à prendre se posera avec acuité, il nous sera devenu difficile de nous proclamer neutres.

Notes:

1 RS (Recueil systématique du droit fédéral) 946.231.172.7

2 http://www.seco.admin.ch/themen/00513/ 00620/00622/04669/index.html?lang=fr; dernière consultation le 1er octobre 2012 à 10 heures.

3 Valérie Niquet, «Mer de Chine: La guerre menace», Le Monde, 24.09.2012  

 

 

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