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L’architecte, un créateur en situation

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1951 5 octobre 2012

Comme on sait, le référendum contre le projet Rosebud a abouti. Le Conseil d’Etat a d’abord envisagé de présenter au peuple un projet remanié, avant d’abandonner cette idée contraire à la lettre et à l’esprit des institutions. Ses intentions actuelles ne sont pas très claires, mais il serait inacceptable qu’il n’associe pas de très près les animateurs du référendum à sa nouvelle démarche. Ceux-ci ont récolté sensiblement plus de signatures que nécessaire, de surcroît au plus mauvais moment de l’année, soit pendant les grandes vacances. En temps normal, le résultat eût été du double. Cela leur donne un certains poids, d’autant qu’ils sont prêts à repartir à l’assaut en cas d’entourloupette.

L’accord ne sera pas facile, car les positions de fond n’ont guère évolué. Deux camps s’opposent. Pour les uns, l’architecte est un pur artiste, un médium inspiré projetant sur le monde des visions qu’il est impie de critiquer. Le projet Rosebud est une perle architecturale et les pourceaux référendaires font preuve du provincialisme le plus épais.

En sens inverse, plus d’un opposant juge que les architectes d’aujourd’hui n’ont plus rien à nous dire, et que nous avons même lieu de tout en craindre. Le mieux qu’on puisse attendre d’un architecte moderne, c’est qu’il reproduise «à l’identique», selon la formule employée couramment et jusque dans les colonnes de La Nation, ce que d’autres ont conçu en des époques censément plus fécondes.

Nous croyons nous aussi que restituer le bâtiment Perregaux dans son intégralité serait mieux que d’enfoncer cet énorme coin métallique dans ce qui nous reste de la Cité. Mais on est ici dans l’ordre du moindre mal, et le Perregaux n’était tout de même pas le Parthénon.

L’Etat affirme que le bâtiment reconstruit «à l’identique» serait trop exigu pour le fonctionnement du Grand Conseil actuel. Mais il y a eu, de sa part, trop d’affirmations aussi arbitraires que péremptoires. Ce qu’il nous dit ne doit pas être accepté sans examen. En tout cas, le bâtiment d’autrefois hébergeait, non sans difficultés il est vrai, un parlement d’un tiers plus nombreux.

Les uns s’intéressent à l’utilisation du bâtiment et laissent à l’architecte une entière liberté quant à l’apparence (quitte à réduire légèrement le volume du projet final pour faire taire les opposants). Les autres exigent une reproduction fidèle de la façade de naguère, réservant la part de la création à l’aménagement intérieur.

A ces derniers, nous rappelons tout de même que l’extérieur et l’intérieur doivent former un tout, sous peine de toc. Nous ne sommes pas dans un de ces films d’espionnage où de vieilles bibliothèques emplies d’anciens ouvrage dissimulent des bureaux high-tech.

Et nous leur rappelons encore que l’architecte d’aujourd’hui est aussi créatif que celui d’hier. Les exemples lausannois ne manquent pas. Il serait bon d’en faire profiter le nouveau parlement.

Cela dit, la création architecturale a ses exigences propres. L’architecture n’est pas un art de laboratoire. Ses productions modifient, parfois bouleversent, l’environnement construit. Elles influencent aussi la vie quotidienne de la population. Cela crée certaines obligations pour l’homme de l’art et l’empêche d’avoir les coudées aussi franches qu’un peintre, par exemple. Une œuvre de Hirschhorn qu’un ami peu inspiré vous a offerte pour votre anniversaire, vous pouvez toujours l’emballer et la porter discrètement à la déchetterie, si on l’y accepte. Un ratage architectural, en revanche, ne se laisse pas évacuer ou dissimuler. Il s’impose à tous, tous les jours et durant des générations.

Bien sûr, l’architecte peut laisser la folle du logis divaguer sans limites quand il s’agit de construire dans les sables de Dubaï. Il ne le peut lorsqu’il s’agit du centre d’une ville déjà fortement dégradée sous des municipalités précédentes.

Il nous semble que l’Etat et les référendaires feraient fausse route en cherchant un accord sur le produit fini. Trop de choses les opposent, trop de sensibilités se sont heurtées et restent à vif. Et sur le fond, d’ailleurs, ce n’est ni aux uns ni aux autres, tous amateurs, de faire le travail de l’architecte.

En revanche, plus en amont, dans leur sphère de compétence propre, ils pourraient trouver un accord sur un cahier des charges qui intègrerait les exigences des uns et des autres: la fonction parlementaire du bâtiment et ses exigences, l’incorporation au milieu architectural de la vieille ville (ce qui n’impose pas absolument le recours aux styles et matériaux existants), la prise en compte du sentiment populaire d’excès qui a fait aboutir le référendum, la préservation, au moins partielle, de ce qui reste des murs anciens, le respect des normes de la minergie et, peut-être, par souci de mémoire, l’évocation sous une forme ou une autre de tel élément architectural typique du bâtiment détruit par le feu.

Charge à l’architecte de faire la synthèse.

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